Une critique du livre de Durand Folco et Martineau
Cet article est une recension critique du livre Le capital algorithmique de Jonathan Martineau et Jonathan Durand Folco (Écosociété, 2023). Il cherche à mettre en lumière les lacunes du diagnostic proposé par les auteurs concernant une hypothétique fin du néolibéralisme. Durand Folco et Martineau avancent que le régime d’accumulation néolibéral aurait été dépassé par une nouvelle phase désignée comme « le capitalisme algorithmique » à la suite de la crise financière de 2007-2008. Cet article défend plutôt l’idée que les algorithmes s’ajoutent et s’intègrent à la dynamique d’accumulation et aux formes institutionnelles du capitalisme néolibéral. La question de la focale sur la technique, la réification du concept d’algorithme, le manque de consistance avec l’analyse des anciens régimes d’accumulation, une amplification des logiques de pouvoir algorithmiques, le portrait inexact des classes et la thèse de la soi-disant supplantation de la finance par l’accumulation de données sont au nombre des arguments qui militent en faveur du rejet de la thèse du capitalisme algorithmique comme nouvelle phase du capitalisme.
Un article de Nathan Brullemans, candidat à la maîtrise en sociologie (UQAM) et membre du collectif Archives Révolutionnaires

On doit d’abord accueillir avec enthousiasme la parution du livre Le capital algorithmique, co-écrit par Jonathan Durand Folco et Jonathan Martineau. Les auteurs, déjà connus pour leur contribution à la théorie critique québécoise après leurs ouvrages À nous la ville[1] et L’ère du temps[2], nous surprennent maintenant avec une thèse audacieuse portant sur l’affinité élective entre le capitalisme et l’intelligence artificielle (IA). La publication des « deux Jonathan » frappe par son caractère programmatique[3] et ses allures de grand theory. Ils cherchent en effet à établir un programme de recherche qui se réfléchit explicitement comme une « théorie critique des algorithmes[4] ». Ce projet serait l’occasion de construire, comme le précisent les auteurs, « une démarche interdisciplinaire qui vise à comprendre les multiples ramifications de la logique algorithmique, ses dispositifs et sa dimension idéologique[5] ». Dans le sillage de cette bonne vieille dialectique entre théorie et pratique que l’on peut faire remonter à la 11e thèse sur Feuerbach, le but assumé de leur théorie des algorithmes est la transformation sociale dans un horizon émancipateur. En faisant le pari de réfléchir les phénomènes sociaux particuliers à partir du point de vue de la totalité, Martineau et Durand Folco nous invitent à saisir l’explosion inédite de l’intelligence artificielle depuis la dernière décennie comme une partie constitutive des rapports sociaux capitalistes, et du rôle que jouent la science et la technique dans l’élargissement de l’accumulation.
Pour ce faire, ils se proposent de poursuivre le chantier entamé par la théorie critique du capitalisme de surveillance. De ce point de vue, Le capital algorithmique se veut une tentative plus ou moins ouverte de « marxiser » le classique instantané L’âge du capitalisme de surveillance (2018), écrit par Shoshana Zuboff[6]. Reprenant les prémisses de l’autrice sur une base matérialiste, Durand Folco et Martineau évitent les dérives potentiellement complotistes de certains discours sur la « société de surveillance », où le concept de pouvoir devient évanescent, insaisissable, avant d’être renvoyé à une soif irrationnelle du contrôle de la part d’une élite technocratique anonyme. Loin de ce virage conspi que l’on peut déjà faire remonter à certaines thèses de Michel Foucault[7], les chercheurs insistent au contraire sur les impératifs sociaux du développement des technologies algorithmiques, à savoir : le principe de concurrence entre les capitalistes et la quête effrénée de profit qui s’en dégage.
En plus, la méthode matérialiste des auteurs se tient à distance du réductionnisme et ouvre la voie à l’analyse de l’articulation du « capital algorithmique » avec le pouvoir d’État, les différents systèmes de domination (racisme, sexisme, colonialisme) et la crise écologique. À partir de leur position méthodologique et normative qu’ils qualifient de « techno-sobre », Durand Folco et Martineau passent au crible l’avalanche de buzzwords et d’idéologies creuses qui émanent des meilleurs cerveaux de la Silicon Valley. Ces discours apologétiques de l’intelligence artificielle semblent animés d’une même logique : le techno-solutionnisme, soit l’idée selon laquelle tous les problèmes sociaux connaîtraient en fait des réponses techniques. D’après ce corps de doctrines, la crise écologique pourrait par exemple être réglée par la soi-disant bienfaisance de la « dématérialisation de l’économie ». Le marché mondial, nous affirment les disciples de l’IA, se développerait désormais dans l’univers parallèle des clouds et des réseaux de données. Durand Folco et Martineau relèvent que, bien au contraire, l’industrie extractive est au cœur du projet économique des capitalistes de la Big Tech, en sécurisant les minéraux critiques par l’impérialisme et en repoussant éternellement les limites biophysiques de l’extraction. Cela ne va pas sans rappeler que, loin d’un espace propre et éthéré, les centres de données sont des infrastructures colossales, énergivores et polluantes. Toujours très matérielle, l’accumulation ne nous a pas amenés aux portes d’une société pleinement robotisée, annonçant la « fin du travail » ; la génération d’algorithmes commande encore l’exploitation du prolétariat, quand elle ne vampirise pas le temps d’attention de sujets bien réels[8]. La technique n’est pas neutre : elle est mobilisée pour stimuler et reconduire l’accumulation de valeur[9].
Ce parti pris des auteurs est d’autant plus crucial à l’heure où ce ne sont pas que les idéologues de la « quatrième révolution industrielle » du Forum économique mondial qui sont charmés par les promesses de l’IA, mais aussi une certaine gauche qui, sous des figures comme celle d’Aaron Bastani, défend le mirage d’un « fully automated luxury communism », soit l’utopie candide d’une société post-rareté où les forces productives seraient enfin libérées du capitalisme[10]. En ce sens, le duo de théoriciens s’efforce de dénoncer ce qu’ils appellent le « caractère fétiche de l’algorithme ». En calquant le concept de « fétichisme de la marchandise » conçu par Marx dans le premier livre du Capital, Durand Folco et Martineau nous invitent à ne pas confondre le caractère social, qui traverse et constitue les différents gadgets algorithmiques, avec ces objets eux-mêmes[11]. Il faudrait ainsi toujours débusquer les rapports sociaux qui se cachent derrière les algorithmes, plutôt que de leur faire revêtir le manteau anthropomorphique de « l’autonomie ». En tombant dans ce faux-semblant, ce serait la pratique humaine que l’on viendrait ici réifier. Après tout, un algorithme n’est pas « intelligent » comme l’est un esprit humain (ou animal). Dans sa version simplifiée, un algorithme n’est rien d’autre qu’une suite de règles formelles, comme une recette de cuisine[12]. Dans sa version complexe, cet ensemble de fonctions opératoires s’ajuste rétroactivement face aux données qu’il est capable de recueillir.
Problèmes de la périodisation à partir du concept de « capital algorithmique »
Toutefois, Martineau et Durand Folco s’avancent sur une thèse qui semble entrer en tension avec cette prudente critique du fétichisme de l’algorithme. Les auteurs affirment en effet que le « capitalisme algorithmique » formerait ni plus ni moins qu’une nouvelle phase historique du capitalisme. Comme ils le disent eux-mêmes :
Notre hypothèse, loin de la simple poursuite du capitalisme numérique ou du néolibéralisme, encore moins d’un retour vers le futur « néoféodal » [un capitalisme numérique-rentier], est plutôt que nous amorçons la plus récente phase du mode de production capitaliste, le capitalisme algorithmique, qui s’appuie sur, et dépasse, le capitalisme néolibéral.[13]
En parlant en termes de phases, d’étapes ou de régimes d’accumulation, les auteurs s’inscrivent dans une théorie de la périodisation du capitalisme qui — partant de Hilferding, Lénine, Luxemburg et Boukharine — a connu une longue tradition jusqu’à la théorie de la dépendance latino-américaine et les théories marxistes de l’impérialisme des années 1960 et 1970[14]. Si les premières générations de théoriciens et de théoriciennes se focalisaient principalement sur la dynamique endogène de l’accumulation, des contributions plus récentes comme celles de l’École de la régulation et certaines nouvelles approches marxistes ont aussi insisté sur les formes sociales et institutionnelles qui s’y combinent (division du travail, paradigme technologique, formes de l’État et des régulations sociales, etc.)[15]. En se positionnant face à ces différents systèmes, Durand Folco et Martineau avancent une thèse provocatrice : le régime d’accumulation néolibéral (ou « post-fordiste », selon le langage régulationniste) serait maintenant chose du passé. Qu’est-il arrivé de son modèle de travail flexible et précaire, de la puissance des compagnies transnationales, de la soumission des États aux forces du marché, de la financiarisation de l’économie et de sa forme spécifique de division internationale du travail ? Tous ces éléments constitutifs de l’accumulation néolibérale depuis les chocs pétroliers des années 1970 et 1980 seraient tombés en crise après 2007-2008. En empruntant le langage hégélien du Aufhebung, les auteurs nous disent que le néolibéralisme aurait été à la fois supprimé et conservé, dans un « dépassement » qui annonce une logique d’accumulation et de régulation sociale dominée par les algorithmes[16]. Selon eux, l’accumulation du « capital algorithmique » formerait « une réponse à la crise du néolibéralisme, tout en représentant le nouveau cœur du système capitaliste[17] ».
Tableau 1 : Principales différences entre néolibéralisme et capitalisme algorithmique selon Durand Folco et Martineau[18]
| Stade du capitalisme | Capitalisme régulé par l’État (fordisme) | Capitalisme néolibéral financiarisé | Capitalisme algorithmique |
| Période | ~ 1945-1980 | ~ 1980-2007 | ~ 2007– … |
| Forme d’entreprise | Corporation | Entreprise multinationale | Plateforme |
| Forme de travail | Travail de masse | Travail flexible | Travail algorithmique |
| Moteur(s) d’accumulation | Pétrole, secteur des services | Spéculation financière et immobilière | Données algorithmiques |
| Type de capital dominant | Capital industriel | Capital financier | Capital algorithmique |
| Marchés prédominants | Biens de masse | Marchés financiers | Marchés prédictifs |
| Relations de classes | Managers / cols bleus et cols blancs | Actionnaires / classes moyennes endettées | Overclass ou cloudalist / précariat, travail digital |
| Dynamique sociétale dominante | Consumérisme / protection sociale | Mondialisation / privatisation | Datafication / automation |
| Logique globale | Logique technocratique | Logique néolibérale | Logique algorithmique |
| Forme d’État | État-providence | État néolibéral | État algorithmique |
Notre argument est que cette idée de la fin du néolibéralisme et du début d’un nouveau régime d’accumulation dit « algorithmique » est fortement exagérée : l’importance du secteur des nouvelles technologies n’apporte pour l’instant aucune remise en cause des règles qui forment la dynamique fondamentale de l’accumulation néolibérale. On lui a simplement surajouté l’intelligence artificielle, les algorithmes et les données massives. Mais ici, Martineau et Durand Folco semblent précisément tomber dans ce qu’ils critiquent et se concentrent d’abord sur la dimension technique du procès de travail pour caractériser le régime d’accumulation actuel, plutôt que de se focaliser sur ses aspects sociaux. En commençant par refuser le déterminisme technologique et la réification de l’algorithme, la technologie revient après coup dans leur théorie pour fonder le critère principal d’une nouvelle phase du capitalisme.
De plus, ce portrait d’un capitalisme dirigé par et pour les algorithmes est inadéquat : la structure de classe du néolibéralisme, dominée par le travail informel et précaire, n’apparaît pas ébranlée par l’intervention d’une nouvelle dynamique d’accumulation. En termes de classes sociales, Durand Folco et Martineau nous tracent les contours d’une division du travail dominée par le « travail digital », une « armée de travailleurs du clic » et un prolétariat de plateforme. Sur ce terrain, le duo offre trop peu de statistiques pour appuyer leur démonstration. En attendant cette preuve, c’est encore la force de travail de 2 milliards de personnes qui est captée par l’économie informelle, loin devant l’emploi industriel chiffré à 758 millions (et dont le continent asiatique absorbe à lui seul les deux tiers)[19]. Le travail informel, majoritairement contenu dans le Sud global, accueille une hétérogénéité de situation d’emplois autour d’un trait distinctif : il échappe à la médiation du contrat de travail[20]. Si la littérature montre bien que l’économie informelle n’est pas un parfait synonyme de pauvreté[21], elle avale la majorité des travailleurs pauvres du monde entier. Il s’agit d’un modèle de travail irrégulier, semi-intégré, tâcheronnisé et précaire (parfois subsumé sous du capital, parfois assigné à la subsistance)[22]. Ce dernier ne date pas d’hier, avec la fondation d’Uber en 2009. L’informalité, si elle est inscrite dans l’ADN de l’armée de réserve du capital, a été décuplée avec les grandes thérapies de choc des programmes d’ajustement structurel du FMI dans les années 1980, notamment en Amérique latine[23]. Parallèlement, l’explosion du secteur des services, souvent modelé sur un contrat de travail court et à temps partiel (le fameux « précariat »), a aussi créé dans les pays du Nord une main-d’œuvre corvéable[24].
Pour nous, s’il est possible d’établir une périodisation du capitalisme, ce projet doit prendre comme critère principal les formes sociales dominantes par lesquelles l’accumulation se poursuit. Évidemment, cela ne peut pas se faire sans considérer les éléments matériels (nature, corps humains, technologie, etc.) qui forment les conditions de possibilité de l’accumulation en général. Cependant, régler une périodisation principalement à partir de ces éléments matériels risque de chosifier les rapports sociaux qui les médiatisent. Bien sûr, nous ne pouvons pas nier que l’IA représente une importante source d’investissements et que l’incorporation de ces technologies au procès de production pourrait potentiellement constituer la base d’un modèle original d’exploitation du travail. En revanche, il ne semble pas qu’à l’heure actuelle l’IA soit mobilisée de manière à ce qu’elle augmente significativement le taux d’exploitation ni qu’elle relance systématiquement le modèle d’exploitation sous de nouvelles formes (par exemple : par une modification de la division internationale du travail, l’érection d’un modèle industriel inusité, etc.).
Les équivoques du concept de « capital algorithmique »
De plus, il faut soulever l’équivoque quant aux concepts de capital versus capitalisme algorithmique. Les auteurs n’emploient pas ces notions comme des synonymes. D’un côté, le capital algorithmique renvoie à « une nouvelle façon de produire, d’échanger et d’accumuler de la valeur via l’extraction massive de données, l’exploitation du travail digital et le développement accéléré de machines algorithmiques[25] ». De l’autre, le capitalisme algorithmique réfère à une totalité sociale concrète, un « ordre social institutionnalisé », selon l’expression empruntée à Nancy Fraser, qui ne peut qu’exister en interaction constante avec la nature et le travail de reproduction sociale[26]. Autrement dit, le capital algorithmique serait l’une des composantes — sans doute la principale — d’une structure historique, le capitalisme algorithmique, tout comme le capital financier serait la variable économique centrale de la société néolibérale. Ce diagnostic de la fin du néolibéralisme implique que nos auteurs pourraient prouver :
dans quelle mesure le capital algorithmique devient prédominant à notre époque (par contraste avec le capital financier, industriel ou commercial), et fournir d’autres arguments pour justifier la transition vers un nouveau stade du capitalisme, en précisant le moment et les causes exactes de ce basculement[27].
Dans cette citation, nos auteurs se trompent néanmoins de plan d’analyse. Le concept de « capital algorithmique » ne peut pas être considéré sur le même niveau d’abstraction que celui du capital industriel, commercial ou financier. En fait, la notion de capital algorithmique possède un statut analogue à celle de « capital fossile » forgée par Andreas Malm, où l’expression est surtout heuristique et insiste sur la rencontre entre les éléments matériels du procès de travail avec ses éléments sociaux. Dans d’autres contextes, l’expression de Malm réfère plus simplement aux fractions de la classe capitaliste dont les intérêts matériels sont liés à l’exploitation de combustibles fossiles et à la chaîne de dépendance de l’accumulation face à ce type d’énergie[28]. Selon sa conception plus directement matérielle, le concept de capital fossile désigne justement « l’appropriation de la nature comme substrat matériel de la valeur d’échange[29] ». L’expression de capital algorithmique doit se poser sur ce même niveau de discours (le plan matériel), car il réfère à la combinaison entre le savoir technique et le procès de travail. Il en va de même pour le « capital numérique » que les auteurs associent au couplement de l’ordinateur et de l’accumulation. Cela dit, même avec cet exemple, le capital numérique ne saurait avoir « remplacé » le capital industriel ou financier après l’intégration systématique des ordinateurs aux chaînes de production dans les années 1990. Le capital numérique n’existe qu’à travers les moments de transformations du capital que sont l’industrie, le commerce et la finance.
C’est ainsi que le capital algorithmique (tout comme le capital fossile ou numérique) revêtira en alternance les différentes formes du capital (productif, commercial, financier). Dans la formule générale du capital A–M… P… M’–A’ que l’on peut tirer du livre 2 du Capital[30], l’argent (A) doit se transformer en marchandise (M) qui doit être consommée productivement (P), ce qui veut dire qu’elle doit être couplée à un procès de travail qui exploite le travail vivant, afin de produire une nouvelle marchandise qui possède un incrément de valeur (M’). La vente de cette dernière sur le marché réalisera la plus-value qu’elle contient (A’) et, enfin, une partie de la plus-value devra être réinvestie productivement dans le procès de production[31]. Si telle ou telle entreprise peut se spécialiser dans la sphère de la production, de l’échange ou de la finance (de l’usine, à la banque, en passant par le transport), le capital comme rapport social n’existe que comme totalité, par sa métamorphose entre ces différents moments. Ce principe concerne autant le capital fossile de Shell que le capital algorithmique de Facebook ou d’Apple. La marchandise algorithmique devra tôt ou tard passer par la sphère de la production, puis sous la forme de l’argent, etc.
Donc, si l’expression de « capital algorithmique » a un sens — ce qui est certainement le cas — c’est uniquement quand on la mobilise pour référer à l’aspect technique du procès de travail. Les auteurs négligent précisément ce contrôle des niveaux d’abstraction : le capital algorithmique nous est présenté à la fois comme une composante technique du procès de travail et à la fois comme une « nouvelle forme de capital ». Si l’on reprend l’analogie du capital fossile, on se rend bien compte qu’on ne peut pas dire que le pétrole incarne une « nouvelle forme de production de valeur ». Les forces productives demeurent le support et la voie de conduction de la valeur d’échange.
Il est néanmoins clair que l’usage de données massives (Big data), vendues à des entreprises à des fins de publicités ciblées, décrit un événement inédit dans l’histoire du capitalisme. La question est pourtant de savoir si ce modèle économique correspond à plus qu’une nouvelle source de débouchés. La marchandisation d’aspects de la vie sociale autrefois épargnés ne témoigne pas ipso facto d’une transition de stade. Autrement dit, est-ce que la structure du procès de travail est transformée par la présence de l’algorithme ? Nous reviendrons plus loin sur le cas du travail digital qui ne représente pas selon nous une nouveauté, mais bien la continuité du capitalisme numérique néolibéral.
Une théorie de la périodisation ancrée dans les « conditions générales de production »
Au début de leur chapitre 8, Durand Folco et Martineau affichent déjà leur couleur théorique en précisant qu’ils s’inspirent de la théorie du « capitalisme IA » et du livre Inhuman Power de Nick Dyer-Whiteford, Mikkola Kjøsen et James Steinhoff. Ce groupe d’auteurs insisterait en effet sur :
le rôle déterminant des conditions générales de production dans l’évolution du capitalisme, c’est-à-dire les technologies, institutions et pratiques qui constituent l’environnement dans lequel prend forme la production capitaliste dans un lieu et une époque déterminée, en devenant progressivement les facteurs essentiels communs à toute production. L’énergie, les moyens de transport et de communication, comme les chemins de fer, le téléphone, l’électricité ou l’automobile, sont quelques exemples de conditions générales de production qui ont eu une incidence importante sur les formes de production, de distribution et de consommation au sein du capitalisme.[32]
Les rapports sociaux capitalistes ne se manifestent certainement pas in abstracto. Pour exister concrètement, ils ont besoin d’un ensemble de conditions de possibilités historiques : l’accès à une nature bon marché (cheap nature, selon l’expression de Jason Moore), à des sources de travail gratuit (le travail ménager des femmes, pour commencer), le recours à la violence d’État, la dépossession des producteurs et productrices directes, et à un certain nombre de connaissances techniques que permet la science à un moment déterminé de l’histoire. À la rigueur, les marxistes peu charitables dans leur orthodoxie nous diront que le concept classique de « forces productives » — qui, chez Marx, dépasse largement la simple question des outils et des machines, et englobe autant la nature que le savoir technique[33] — implique déjà analytiquement celui de « conditions de production ». Donc, s’il s’agit de dire que les algorithmes et de nouvelles technologies analogues sont des forces productives ou des conditions de production, il n’y a évidemment aucun problème à les recenser au nombre des facteurs qui sont incorporés dans le procès d’accumulation.
Mais Dyer-Whiteford et consorts ne s’arrêtent pas là : ils caractérisent, tout comme Durand Folco et Martineau, le stade actuel du capitalisme comme étant celui du « AI capitalism ». Ce choix conceptuel frappe néanmoins par son caractère arbitraire. En regardant de près le texte, on s’aperçoit que les régimes d’accumulation précédents décrits par Dyer-Whiteford et ses collègues — 1) la grande industrie, 2) le fordisme, 3) le post-fordisme — ne reçoivent aucune surdétermination conceptuelle en termes technologiques. En effet, seul l’IA fait l’objet d’un traitement analytique différentié où c’est l’aspect technologique qui devient le critère principal de la périodisation. Suivant ce critère, pourquoi le capitalisme de la grande industrie du début du XIXe siècle ne s’appellerait-il pas plutôt « capitalisme vapeur » ou « capitalisme chemin de fer » si les conditions de production sont si déterminantes ? L’invention du train représente assurément une révolution technologique tout à fait inédite aux yeux d’une paysannerie qui avait jusqu’alors parcouru les campagnes des empires européens à pied et en charrette[34].
De la même manière, on pourrait très bien faire l’analyse du fordisme en le décrivant comme le « capitalisme automobile », puisque la marchandise-voiture formait l’un des piliers centraux de l’accumulation du capitalisme de l’entre-deux-guerres. Or, ce qui fait la spécificité historique du fordisme, ce n’est pas tant la forme matérielle des marchandises qu’il produisait, mais sa dynamique sociale d’accumulation (basée sur les fameux « partages de gains de productivité » et l’accès de la classe ouvrière des pays du Nord à la consommation de masse), son rapport à l’intervention de l’État (sous une forme keynésienne) et le capitalisme de monopole qui lie la grande firme à une accumulation nationale, etc.[35] Le fordisme constituait une nouveauté importante par rapport au capitalisme concurrentiel qui était encore au XIXe siècle fortement ancré dans le modèle de la manufacture (basé sur la plus-value absolue), opérant dans des économies avec de forts bassins de population rurale en processus de migration et avec un pouvoir d’État bourgeois non démocratique qui réprimait férocement les organisations ouvrières (interdiction du droit de vote universel, du syndicalisme, etc.). Le prétendu « capitalisme algorithmique » produirait-il une transformation sociale et historique d’une ampleur aussi considérable ? Une révolution nous est-elle discrètement passée sous le nez au tournant de 2007-2008 ? Si l’unique indice est celui de la technologie, on a de sérieuses raisons d’en douter.
En somme, les critères employés par Dyer-Whiteford et consorts pour définir les trois premières étapes du capitalisme sont différents de ceux mobilisés pour décrire la nature de la phase actuelle. Or, si une méthode scientifique se veut cohérente, elle doit utiliser les mêmes critères épistémologiques pour approcher les mêmes phénomènes, ce qui oblige ou bien à reformuler une périodisation du capitalisme à partir de ses éléments techniques (l’une de ses fameuses « conditions générales de production »), ou bien à penser la possible transition du post-fordisme ou du néolibéralisme selon des variables relatives à l’organisation des composantes structurantes du mode de production capitaliste.
La régulation algorithmique : une voie de sortie de la périodisation techniciste ?
Du reste, on peut dire que Durand Folco et Martineau se dissocient de la thèse techniciste de Dyer-Whiteford et consorts, car ils jugent explicitement — et avec raison — que cette dernière ne s’intéresse pas assez aux « dimensions sociales et institutionnelles pour expliquer le passage entre les différents stades du capitalisme[36] ». C’est à ce moment de leur exposé que Durand Folco et Martineau recourent explicitement au concept de régime d’accumulation théorisé par l’École de la régulation (initiée par Michel Aglietta, Robert Boyer et Gérard Destanne de Bernis), concept qui recoupe partiellement celui déjà évoqué d’ordre social institutionnalisé de Nancy Fraser[37]. Le duo d’auteurs précise que la réalité de l’accumulation du capital dépasse largement la technologie, dans la mesure où le fonctionnement d’une économie de marché nécessite des institutions spécifiques, un rapport salarial particulier, des formes de régime monétaire, des systèmes d’innovation, etc.[38] L’argument de Durand Folco et Martineau stipule que les algorithmes seraient incorporés de manière spécifique à ces différentes institutions, formant ce que les chercheurs appellent une « gouvernementalité algorithmique », établissant une discipline par la prédiction du risque[39].
Mais en soulignant la dimension institutionnelle des régimes d’accumulation (ce qui est souhaitable dans un projet de périodisation du capitalisme), les auteurs sont-ils pour autant libérés d’une conception techniciste de la périodisation ? Tout comme avec l’exemple précédent de Dyer-Whiteford, le même problème épistémique persiste : les modes de disciplines attachés aux précédents régimes d’accumulation ne sont jamais décrits à partir de la technologie. Les anciennes logiques de pouvoir sont dites « coloniale, technocratique, néolibérale »… alors que la logique de pouvoir actuel possède ce curieux privilège d’avoir des critères de périodisation ad hoc : elle est une forme de pouvoir social décrit comme un « mode de régulation algorithmique[40] ». Il est clair que la militarisation de la police — en pleine expansion depuis le 11 septembre et les contre-sommets des années 2000 — a reposé sur une intégration de la technologie militaire pour parfaire l’exercice de sa discipline sociale. De manière plus récente, nous voyons aussi l’incorporation d’un certain nombre de gadgets à vocation de contrôle et de surveillance qui fonctionnent à partir d’algorithmes. Par contre, aux yeux de nos auteurs, la technologie militaire pré-IA ne paraît pas digne d’intérêt pour agir comme critère de la périodisation (gaz lacrymogènes, armes d’assauts, bombes nucléaires, etc.)… contrairement à la technologie de répression « intelligente ».
Autrement, il est évident que l’application de la logique algorithmique représente une transformation des relations de pouvoir fondées jadis sur la domination directe. Le modèle classique de l’hégémonie gramscienne, comprise comme la combinaison de la force et du consentement, semble quelque peu inadéquat pour rendre compte de la domination impersonnelle et autorégulée de l’algorithme. Celui-ci se passe bien du moment de la légitimation morale et idéologique. Il procède par conditionnement béhavioral et prédiction des comportements. Toutefois, on peut se questionner sur l’originalité de cette forme de pouvoir que les auteurs voient comme généralisée depuis 2007-2008. Le sociologue Michel Freitag écrivait déjà en 1986 dans son premier volume de Dialectique et société, que le « mode de régulation décisionnel-opérationnel » tend à saper la médiation symbolique et normative dans l’exercice du pouvoir. La discipline sociale serait réduite à un contrôle opéré par des mécanismes automatiques[41]. Freitag associe cette forme de régulation à l’époque « postmoderne », c’est-à-dire grosso modo au capitalisme néolibéral[42]. Les auteurs ne disent pas autre chose quand ils voient en Gilles Deleuze le théoricien précoce de la « société de contrôle ». L’algorithme semble donc le parachèvement des tendances et des formes de pouvoir du néolibéralisme, plutôt qu’une rupture stadiale. Les chercheurs le confessent eux-mêmes lorsqu’ils concèdent du bout des lèvres que la logique d’administration publique algorithmique s’appuie sur les « visées d’efficacité du précédent modèle [néolibéral][43] ».
Finalement, il paraît prématuré, voire téméraire, de dire que les logiques de pouvoir actuelles seraient majoritairement algorithmiques. Le fait que l’État et la police aient de plus en plus recours aux nouvelles technologies ne constitue pas une preuve que la régulation sociale fonctionne principalement à partir d’une logique algorithmique[44]. On ne retrouve pas non plus de démonstrations comme quoi cette forme de régulation sociale serait sui generis ou qu’elle sortirait des sentiers battus du contrôle néolibéral. L’exemple du populisme, présenté comme une expression de la restructuration algorithmique en cours, ne semble pas non plus aller dans le sens de l’argument des auteurs[45]. Le récemment élu Javier Milei ira de l’avant avec un agenda néolibéral sur stéroïdes, dans la grande tradition des Tatcher et Reagan de ce monde. En brandissant sa tronçonneuse en plein bain de foule, l’obsession du nouveau président argentin n’est pas la lubrification de l’accumulation algorithmique, mais l’angoisse néolibérale classique : la taille du budget de l’État. Si l’on scrute à la loupe le programme de casse sociale du Rassemblement national en France ou le copinage de Bolsonaro avec les capitalistes du Brésil, on y voit sans doute plus une logique d’État néolibéral vieux jeu qu’une manifestation du pouvoir algorithmique.

Du mirage du capitalisme cognitif au mirage du capitalisme algorithmique : une conception défaillante des classes
Après, Durand Folco et Martineau savent que les usages de l’appareil conceptuel de l’École de la régulation peuvent être très inégaux. C’est le cas du prétendu « capitalisme cognitif », une théorie qui affirme que les mécanismes d’extraction de la survaleur se fonderaient dorénavant sur le monopole du savoir et la captation de connaissance à partir des stratégies de copyrights et de brevetages en tout genre. Promue par des figures comme celle d’Antonio Negri, cette école insiste sur l’existence d’un soi-disant « cognitariat » et même de « communs numériques » (comme quoi le jargon des capitalistes du Big Tech vaut parfois celui de la gauche académique). Cette théorie porte, en plus de son charabia, un regard techno-enthousiaste sur le capitalisme numérique, sans égard aux dispositifs de domination et d’exploitation qui le traversent, comme le notent justement Durand Folco et Martineau[46].
Avec ses communs numériques et son capitalisme « Calinours », Antonio Negri n’en était pas à sa première caricature sociologique. Au début des années 2000, dans son livre Empire, co-écrit avec Michael Hardt, il brossait un portrait lourdement exagéré de la mondialisation, dépeinte comme un phénomène complet d’aplatissement de la compétition entre capitalistes. Les classes dominantes auraient fusionné en une giga-classe capitaliste globale et apatride. La distinction entre centres et périphéries serait rendue caduque dans un monde unipolaire, gouverné par la logique de coopération de l’ultra-impérialisme présagée par Kautsky. Martineau et Durand-Folco ne vont certainement pas aussi loin qu’Hardt et Negri dans la caricature. Leur tableau est plus nuancé, mais ils nous laissent néanmoins miroiter l’image d’une structure de classe dominée par le « travail digital » ou une « armée de travailleurs du clic ». Pour l’instant du moins, il est loin d’être clair que les emplois prolétarisés soient en majorité absorbés par le secteur des plateformes, ou plus largement du numérique. Avec cela, il ne faut pas oublier de préciser qu’une grande partie du secteur numérique a recours à une main-d’œuvre qualifiée, effectuant bien souvent un travail intellectuel grassement rémunéré. Les digital nomads de classe moyenne qui peuplent les auberges de jeunesse de la périphérie ne forment pas exactement une nouvelle classe dangereuse. Comme l’a souligné John Smith dans son livre Imperialism in the 21st century avec l’exemple du iPod 30 GB en 2006, sur les 13 920 employé·e·s d’Apple aux États-Unis, un peu moins de la moitié (6 101 personnes) avaient le statut de « professionnels ». Les fiches de paie de ces derniers comptaient un salaire annuel moyen de 85 000 $, supérieur de plus du deux tiers de la masse salariale moyenne des emplois américains. On ne peut évidemment pas dire une chose pareille des quelque 12 250 prolétaires en Chine qui étaient attaché·e·s à la chaîne de montage pour un salaire moyen de 30 $ par semaine[47].
En forçant le trait, Martineau et Durand Folco citent même, non sans audace, La formation de la classe ouvrière anglaise d’Edward P. Thompson, ouvrage bien connu pour sa conception historiciste des classes. Selon Thompson, les classes sont d’abord des entités vivantes et subjectives, construites à partir des expériences de luttes communes effectuées contre les groupes dominants. Suivant cette idée, nos auteurs déclarent que les « travailleurs du travail digital développent une subjectivité collective dans l’adversité de leurs conditions et dans des luttes visant à améliorer leur sort[48] ». La fable du cognitariat, pourtant critiquée par les auteurs quelques pages auparavant, semble revenir par infraction dans leur théorie du capitalisme algorithmique. Moins historiens que Thompson sur cette question (qui nous livre quand même sa conception de la subjectivité du prolétariat anglais au bout de 900 pages), Durand Folco et Martineau nous doivent encore la démonstration de l’émergence de la conscience de classe des digital workers. En effet, à partir de quelle expérience de lutte concrète les travailleurs et les travailleuses du digital se sont-ils construit une identité de classe participant à une forme plus large de subjectivité collective ? Faire une bonne sociologie marxiste ne peut pas consister à plaquer mécaniquement les concepts classiques sur la réalité contemporaine, qui plus est sans examens de cas.
Les deux auteurs pourraient rétorquer que nous les avons mal lus, car, nuance de taille, ils ne considèrent pas les travailleurs et travailleuses du digital comme le centre du travail algorithmique, mais uniquement l’un de ces quatre « moments », aux côtés du travail industriel, extractif et domestique[49]. On pourrait s’attarder longuement sur la valeur analytique de ce tableau quadriptyque du travail algorithmique. Premier problème, du point de vue de la sociologie des classes, on voit mal où y ranger tous les prolétaires du secteur des services. Sont-ils extérieurs au « capital algorithmique » (alors même que les services offrent à ce jour la majorité des emplois prolétarisés dans les pays impérialistes) ? De plus, rien ne garantit que le travail de reproduction sociale soit un maillon automatiquement inscrit dans la chaîne du travail algorithmique ; les prolétaires élevé·e·s aux petits soins de leur mère peuvent très bien aller se vendre à une entreprise du secteur de la construction. Tout travail domestique ne peut donc pas être compté comme un organe du « travail algorithmique ». Ensuite, cette division n’est pas propre à l’intelligence artificielle. Elle existe au moins depuis l’intégration de l’ordinateur à la production. On ne comprend pas alors ce que fait vraiment le capital algorithmique comme type de restructuration des classes, si ce n’est d’augmenter le nombre de travailleuses et de travailleurs du clic. Et encore là, il nous manque les statistiques pour apprécier pleinement l’étendue de cette révolution.
De manière générale, c’est toute l’entreprise de description des classes qui fait fausse route dans Le capital algorithmique. En revenant au tableau 1 (ci-dessus), on peut constater que, selon Durand Folco et Martineau, le conflit de classe du néolibéralisme serait formé de l’opposition entre les « actionnaires » et… « les classes moyennes endettées ». La profonde ambiguïté d’une telle proposition est tributaire de la conception qu’ont nos auteurs des classes moyennes endettées. La notion de classe moyenne au sens de « salarié·e·s ayant accès à la consommation de masse » ne concerne qu’une minorité de personnes à l’international (dans les pays impérialistes essentiellement). L’accumulation néolibérale se nourrit très largement de l’accroissement des inégalités sociales (à l’échelle Nord-Sud, mais aussi à l’intérieur des économies nationales)[50]. Il est utile de rappeler que l’un des traits caractéristiques des délocalisations dans les années 1980 dans les pays du Nord a été l’intégration des classes populaires au travail manuel, souvent pénible, du secteur des services. Qui sait, peut-être qu’un travailleur ou une travailleuse chez McDonald’s ou Tim Hortons constitue une forme de « classe moyenne » aux yeux de Durand Folco et Martineau ? Après, il est évident que les classes moyennes sont endettées sous le néolibéralisme, mais comme le sont les ménages des classes populaires. Certes, la catégorisation n’a que des prétentions schématiques et idéals typiques, ce que ne manquent pas de rappeler explicitement les auteurs[51]. N’empêche qu’un idéal-type, comme instrument de connaissance, doit être capable de livrer le portrait le plus fidèle possible de la réalité étudiée. Sans quoi, plutôt que de jeter de la clarté sur le réel, il aura la fâcheuse conséquence de l’embrouiller davantage.
Un autre exemple de l’incapacité de l’ouvrage à traduire de manière réaliste le conflit de classe se présente lorsque Martineau et Durand Folco nous disent que le régime d’accumulation algorithmique se structure autour de l’opposition entre les prétendus « cloudalist » — les capitalistes du cloud, soit Elon Musk et sa bande de technophiles — et le précariat / le travail digital. Les deux Jonathan suggèrent-ils donc, à l’instar de Guy Standing (ancien président de l’Organisation internationale du travail), que le précariat serait une invention de la crise de 2007-2008[52] ? Les classes moyennes auraient croulé sous le poids de l’endettement, avant de tomber dans les rangs du précariat après la crise des subprimes[53]? Cette idée est irrecevable lorsqu’on se penche sur le fait que le néolibéralisme s’est, dès son origine, structuré autour de la fluidification du contrat de travail[54], cette « médiation formelle » entre le capital et le travail selon l’expression de Marx[55]. Le diktat du néolibéralisme est celui du « hire and fire » (« engager et renvoyer »). Ce phénomène de la précarité a été d’autant plus aggravé avec le phénomène des délocalisations qui permet de coupler des capitaux hautement productifs à une armée de réserve abondante[56]. Rappelons qu’avec un réservoir rural de prolétaires en puissance de près d’un demi-milliard de personnes en Chine et d’un milliard en Inde, la hausse des salaires fait face à d’importantes contre-tendances[57]. L’armée de réserve des pays du Sud — composée du travail informel, flexible et précaire — est une camisole de force qui maintient à la baisse le coût de reproduction de la force de travail. L’intégration des formations sociales précapitalistes dans le bassin global des forces de travail depuis la chute de l’URSS, l’entrée de la Chine sur le marché mondial et la soumission de la production agricole de la périphérie aux traités de libre-échange sont des facteurs qui viennent saper la tendance à l’augmentation des salaires que connaissait le fordisme (et sa forte intégration salariale des populations européennes)[58].
Tout compte fait, en l’absence de concepts opératoires et d’éléments empiriques suffisants pour démontrer la transformation de la structure de classe, on doit considérer que le fardeau de la preuve concernant l’existence d’un nouveau stade du capitalisme, algorithmique, demeure dans le camp du tandem Martineau / Durand Folco.

Finance, industrie et algorithmes… quels sont les moteurs de la relance ?
Comme nous l’avons mentionné, pour Durand Folco et Martineau, la crise financière des années 2000 aurait constitué le détonateur de la restructuration algorithmique. Les luttes post-2008 — Occupy, les Indignados et les luttes de la classe ouvrière chinoise et indienne — auraient enfoncé le dernier clou dans le cercueil du néolibéralisme[59]. Très « orthodoxes » sur cette question (ce qui n’est pas forcément une insulte), nos camarades se rapprochent d’Ernest Mandel dans Les ondes longues du développement capitaliste. Ce dernier y avance que les restructurations n’interviennent qu’après une période de crise économique majeure, ce qu’il appelle le « retournement d’une onde longue ». Les causes de la crise sont selon lui internes aux paramètres d’accumulation d’un ordre productif donné, mais la reprise de l’économie n’est quant à elle jamais garantie. Pour ça, tout un ensemble de stratégies doit être déployé afin que la machine économique redémarre. Comme le précise Michel Husson :
L’un des points importants de la théorie des ondes longues est de rompre la symétrie des retournements : le passage de la phase expansive à la phase dépressive est « endogène », en ce sens qu’il résulte du jeu des mécanismes internes du système. Le passage de la phase dépressive à la phase expansive est au contraire exogène, non automatique, et suppose une reconfiguration de l’environnement social et institutionnel. L’idée clé est ici que le passage à la phase expansive n’est pas donné d’avance et qu’il faut reconstituer un nouvel « ordre productif »[60].
Autrement dit, les changements d’ordre productif sont toujours des potentialités offertes par les crises, jamais leurs conséquences mécaniques. Le fait que 2007-2008 soit bel et bien une crise économique ne pourrait donc pas ipso facto former une preuve de l’émergence d’un nouvel ordre productif. Ensuite, comme nos théoriciens, Mandel avance que les changements de paradigme d’accumulation sont mobilisés par les capitalistes pour contourner l’insubordination ouvrière[61]. Diverses stratégies peuvent être déployées pour casser les conditions de cette conscience commune. Mandel relève par exemple la question des révolutions technologiques qui naîtraient de l’effort conscient de briser la résistance politique du prolétariat à la hausse du taux d’exploitation[62]. La transformation du procès de travail aurait par exemple permis de défaire la solidarité ouvrière internationale après la Deuxième Guerre mondiale, puis pendant la grande période d’insubordination de Mai 68 et des années 1970. Maintenant, on en conviendra, comparer Occupy Wall Street à de tels mouvements est assez fort de café. Jamais l’occupation des places publiques — somme toute très peinardes — n’aura fait trembler les profits des capitalistes (pour ça, il faudra faire plus que des menaces de taxation envers le 1 % le plus fortuné de la population). Mais nos auteurs persistent et signent : « Les machines algorithmiques peuvent à la fois discipliner et déplacer une classe ouvrière trop revendicatrice, et ouvrir des canaux pour l’investissement, et même mener à une réindustrialisation du Nord autour de la production intelligente. »[63]
Les capitalistes rêvent certainement d’une réindustrialisation du Nord, mais Durand Folco et Martineau ont l’air de prendre ces rêves pour des réalités, car ils n’avancent pas de statistiques pour illustrer la réindustrialisation en cours. À en croire les chiffres des pays de l’OCDE, la valeur ajoutée de l’industrie sur le PIB est passée de 26,8 % à 24,6 % entre 1997 et 2007. Cette descente ne s’est pas renversée suivant la crise de 2007-2008, au contraire. En 2021, ce taux était tombé à 21,9 %. Dans la même période, les États-Unis, première puissance impérialiste et grand champion de l’accumulation algorithmique, sont passés de 21,6 % à 17,9 % en termes de valeur ajoutée par l’industrie[64]. La réindustrialisation se fait encore attendre. En cette matière, le « fix » technologique du capital algorithmique est encore bien loin de quelque miracle. Sur l’aspect industriel, Amazon fait cavalier seul, en employant une importante main-d’œuvre dans ses entrepôts du Nord global (et d’ailleurs) – mais la manutention n’est pas non plus une industrie productive de marchandises au sens propre.
S’il semble ainsi exagéré de dire que le capital algorithmique relance « la logique industrielle et de l’automation[65] » à une échelle globale, Durand Folco et Martineau cherchent à nous livrer un ultime indice de la supplantation du néolibéralisme par le capital algorithmique : les plus grandes compagnies cotées en bourse sont les GAFAM[66]. Toutefois, cet indicateur pourrait très bien servir l’argument inverse : puisque la financiarisation de l’économie est un des traits caractéristiques du néolibéralisme, le fait que les Big Techs doivent absolument passer par la finance pour opérer semble plutôt approfondir le modèle néolibéral. Les auteurs tombent ni plus ni moins dans l’hyperbole lorsqu’ils avancent que le capital algorithmique « remplace progressivement la logique d’accumulation financiarisée par une logique algorithmique basée en grande partie sur l’extraction et l’analyse des données[67] ». Faisons abstraction un instant des indications données dans la première section de cette critique à propos de la distinction des niveaux d’analyse entre « capital algorithmique » et les autres formes du capital (industriel, commercial, financier), puisqu’il est clair que les auteurs opèrent ici une fausse opposition entre la finance et les données. Maintenant, posons-nous concrètement la question dans les mêmes termes que ceux des auteurs : les données rapportent-elles plus de profit que la finance ? Une source rapporte que les profits du marché du Big data en 2023 étaient de 77 milliards $ US[68]. Ce chiffre n’est clairement pas insignifiant et témoigne du fait qu’il s’agit sans doute d’un secteur profitable à plusieurs égards. Il demeure néanmoins inférieur au budget de l’État québécois qui gravite quant à lui autour des 115 milliards. À comparer des profits des pétrolières, cela semble être de l’argent de poche.
On ne peut pas non plus considérer que le capital algorithmique soit par nature industriel ou même simplement productif. La finance avait déjà cette réputation d’avoir un fonctionnement improductif, alimentant les spéculations d’un « capitalisme drogué[69] ». Le capital algorithmique s’impose-t-il donc comme un champion de la production ? Les auteurs nous donnent quelques chiffres extraits du palmarès des entreprises en fonction de leur profit pour l’année 2022. Curieusement, dans ce palmarès, seuls Amazon et Apple arrivent dans le peloton de tête (2e et 7e position respectivement). Or, mis à part Amazon, le secteur des technologies emploie nettement moins de travailleurs et de travailleuses que les autres secteurs. Walmart (1ière position), Volkswagen (8e) et China Construction (9e) emploient respectivement 2 300 000, 672 789 et 368 327 personnes. Apple engage moitié moins de travailleurs et de travailleuses, avec 154 000 employé·e·s. On est loin d’un modèle capable d’extraire une grande quantité de surtravail, sans compter le fait qu’un travail productif doit être réellement exploité, ce qui ne serait pas le cas d’une pléthore de designers et de travailleurs hautement qualifiés chez Apple (rappelons qu’un employé grassement payé n’est pas ou peu exploité, puisqu’il est payé au-dessus du simple coût de reproduction de sa force de travail[70]).
Après avoir cherché à démontrer tout au long du livre que le capitalisme algorithmique est le nouveau stade du capitalisme, les auteurs avancent à la lumière de leurs propres données : « Ce tableau semble ainsi relativiser la thèse selon laquelle le capital algorithmique serait maintenant au sommet de l’économie mondiale ou que nous aurions basculé soudainement dans un nouveau stade du capitalisme. »[71] Ils rétorquent que cet aspect quantitatif du problème est en fait moins important que son aspect qualitatif, c’est-à-dire l’analyse de l’idéologie. Forts de cette méthodologie qualitative, Durand Folco et Martineau se lancent dans une longue parenthèse sur l’analyse des discours promus par les idéologues de la Silicon Valley. L’esprit de cette dernière serait contenu dans l’acronyme « TESCREAL » (transhumanism, extropianism, singularitarianism, cosmism, rationalism, effective altruism, longtermism)[72]. Si l’ensemble de ces conceptions touche à quelque chose d’effectivement délirant à l’heure où des milliardaires rêvent de la colonisation de Mars, remettent à la mode la cryogénisation ou songent à la vie éternelle, on peut douter de la pénétration de ce corps d’idées dans la conscience ordinaire. Opérant une distinction utile, Martineau et Durand Folco voient dans la nébuleuse TESCREAL le noyau dur du « manteau idéologique » du solutionnisme technologique[73]. Or, si l’on peut admettre avec les auteurs que le Zeitgeist de notre époque penche de plus en plus vers l’idée que les problèmes sociaux posséderaient des solutions techniques, on peut se demander s’il s’agit d’un critère suffisant pour tâter le pouls de la transition vers un nouveau stade du capitalisme.

Conclusion
En somme, Le capital algorithmique est un ouvrage à lire, à étudier, à discuter, à débattre. Il problématise avec sérieux un nouveau programme de recherche sur l’entrelacement entre l’accumulation et les nouvelles technologies. Ce chantier ouvert par nos deux chercheurs connaîtra certainement de nouvelles contributions, dans la mesure où l’imbrication entre capitalisme et intelligence artificielle est amenée à s’approfondir. Loin de l’enthousiasme idéaliste du technologisme, cette intrication aggravera davantage les systèmes de domination existants et viendra accélérer la crise écologique, plutôt que d’apaiser les maux qui rongent le monde social. Il y aurait aussi encore beaucoup à dire sur cet ouvrage, notamment sur la question de la Chine et de sa potentielle hégémonie future qui occupe tout un chapitre.
Nous croyons néanmoins que sur l’aspect décisif d’une hypothétique transition vers un nouveau régime d’accumulation, nos camarades font fausse route. Cela est d’abord visible par le problème de la réification de l’algorithme et la confusion des niveaux d’abstraction associés à ce concept. Ensuite, on a repéré une focale sur la question de la technique qui n’est pas retenue dans l’analyse des régimes d’accumulation précédents. Cette approche sur mesure pour décrire le « capitalisme IA » semble malheureusement arbitraire. En cherchant à échapper à la critique de technicisme, Martineau et Durand Folco se sont réfugiés dans la valeur sûre des modes de régulation politiques. Ce faisant, ils surestiment le degré de pénétration des nouvelles formes de disciplines algorithmiques dans l’État, en plus du caractère inédit de cette logique de pouvoir. Subséquemment, les deux Jonathan ont dessiné un portrait des classes sociales qui ne résiste pas à l’analyse empirique. Après avoir gonflé l’importance quantitative des prolétaires de l’algorithme et leur poids relatif dans l’arène des luttes sociales, ils nous laissent sur une image quelque peu romantique de leur conscience de classe. Et finalement, alors que la finance devait avoir été supplantée par le « capital algorithmique », il semble qu’elle se tienne plutôt en forme. C’est même l’inverse qui s’observe : les grandes multinationales de l’IA s’accrochent à la finance comme si leur vie en dépendait.
Cette critique du livre Le capital algorithmique ne se veut pas un traité de scolastique qui pèche par zèle d’orthodoxie. Il n’y a aucune valeur théorique ou pratique à déclarer que le réel est fixe, que « plus ça change et plus ça reste pareil ». La méthode dialectique serait en fin de compte une vieille fable bonne pour la poubelle s’il ne s’agissait que de retranscrire de manière savante la parole des grands noms suivant Marx, d’en faire de beaux commentaires léchés qui nous renvoient l’image réconfortante d’un réel à la hauteur de nos aspirations politiques. En ce qui nous concerne, notre défense de la thèse du maintien du néolibéralisme n’est pas le caprice conservateur d’un marxisme old school, mais le constat théorique et empirique de la pérennité de ses principales tendances. Le néolibéralisme n’a cependant rien d’éternel. Les restructurations sont toujours des potentialités ouvertes par les crises.
On peut faire l’argument que le néolibéralisme est effectivement en phase terminale. Sans trop de spéculations sur le moment exact de sa chute, ce système devra effectivement trouver une réponse pratique pour relancer l’accumulation. Les nouvelles technologies algorithmiques seront certainement appelées à y jouer un rôle. Mais cela se fera en accompagnant une refonte de la formule de la plus-value, de la division internationale du travail, du modèle de l’entreprise et des formes de l’État. La question de la refonte de l’armée de réserve mondiale est aussi une donnée cruciale. Le Sud semble avoir étiré au maximum son seuil de paupérisation. Par ailleurs, la restriction de la mobilité du travail à travers des frontières nationales bien gardées a permis aux pays du Nord de concéder un certain pouvoir d’achat à ses classes populaires. La question se pose donc : est-ce que les pays impérialistes seront capables d’intégrer les populations migrantes dans un nouvel ordre productif ? Ce n’est pas évident, car cela pose le problème des débouchés. Assisterons-nous à un retour à des économies autocentrées de type fordiste ? Une autre difficulté étant simplement que relancer un modèle productif qui ne prend comme base l’extension des inégalités pose d’importants défis aux limites biophysiques de la nature.
En l’absence de forces capables de redémarrer l’accumulation, l’histoire s’ouvre à tous ses démons. Celui du fascisme, pour commencer. Ce moment de crise pointera la dichotomie célèbre sur laquelle débouche l’explosion des contradictions du capitalisme : socialisme ou barbarie ! En attendant, la croissance roule à plein régime, contribuant chaque jour à rendre la terre plus inhospitalière pour l’espèce humaine et les organismes vivants qui la peuplent. La puissance de destruction du capital est promise à un grand avenir.
[1] Pour quelques contributions de Durand Folco, voir : Jonathan Durand Folco, À nous la ville! Traité de municipalisme (Montréal: Écosociété, 2017); Charles Gagnon, Jonathan Durand-Folco et Jeanne Reynolds, À la croisée des siècles: Réflexions sur la gauche québécoise (Montréal: Écosociété, 2015).
[2] Pour quelques contributions de Martineau, voir : Jonathan Martineau et al., Marxisme anglo-saxon : figures contemporaines de Perry Anderson à David McNally, Humanités (Montréal, Québec: Lux Éditeur, 2013) ; Benno Teschke et Jonathan Martineau, « La théorisation du système étatique westphalien : les relations internationales de l’absolutisme au capitalisme », Cahiers de recherche sociologique, no 52 (17 juillet 2013): 13‑50, https://doi.org/10.7202/1017276ar.
[3] Sur cette question du « programme de recherche », les deux auteurs se réfèrent explicitement au philosophe des sciences Imre Lakatos. Voir : Jonathan Durand Folco et Jonathan Martineau, Le capital algorithmique. Accumulation, pouvoir et résistance à l’ère de l’intelligence artificielle (Montréal: Écosociété, 2023), 51.
[4] Durand Folco et Martineau, 29.
[5] Durand Folco et Martineau, 29.
[6] Shoshana Zuboff, L’âge du capitalisme de surveillance : le combat pour un avenir humain face aux nouvelles frontières du pouvoir, trad. par Bee Formentelli et Anne-Sylvie Homassel (Paris: Éditions Zulma, 2022).
[7] C’était la critique que faisait Nicos Poulantzas de Foucault. La théorie du pouvoir foucaldienne fait l’économie de la question des intérêts matériels, des forces ou des groupes capables de canaliser et d’incarner une puissance sociale. Les « résistances » de Foucault sont une pétition de principe qui ne s’explique pas à la lumière de rapports de domination objectifs. Une essence fantomatique – ce que Foucault appelle « la Plèbe » – traverserait le corps social et l’opposerait au pouvoir. La théorie du complot n’est pas très loin. Voir : Nicos Poulantzas, L’État, le pouvoir, le socialisme (Paris: Les prairies ordinaires, 2013), 216‑19.
[8] Sur ces questions, voir les thèses 4, 5 et 15.
[9] Durand Folco et Martineau, 37.
[10] Durand Folco et Martineau, 42.
[11] Durand Folco et Martineau, 105‑6.
[12] Durand Folco et Martineau, 15.
[13] Durand Folco et Martineau, 159.
[14] Vladimir Illitch Lénine, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme : essai de vulgarisation (Pékin: Éditions en langues étrangères, 1977) ; Rosa Luxemburg, L’accumulation du capital: contribution à l’explication économique de l’impérialisme, Œuvres complètes 5 (Marseille: Agone & Smolny, 2019) ; Theotonio Dos Santos, Imperialismo y dependencia, Ediciones Era (México: El hombre y su tiempo, 1978) ; Ruy Mauro Marini, The Dialectics of Dependency (New York: Monthly Review Press, 2022) ; Nicos Poulantzas, Les classes sociales dans le capitalisme aujourd’hui. (Paris: Éditions du Seuil, 1974) ; Ernest Mandel, Le troisième âge du capitalisme, vol. 1 (Paris: Éditions 10/18, 1976) ; Christian Palloix, « La question de l’échange inégal : une critique de l’économie politique », L’Homme et la société 18, no 1 (1970): 5‑33, https://doi.org/10.3406/homso.1970.1346 ; Immanuel Wallerstein, Le capitalisme historique, trad. par Philippe Steiner et Christian Tutin, [2e édition] (Paris: la Découverte, 2011).
[15] Michel Aglietta et al., La théorie de la régulation au fil du temps. Suivre l’évolution d’un paradigme au gré des transformations des capitalismes contemporains (La Plaine-Saint-Denis: Éditions des maisons des sciences de l’homme associées, 2018) ; David Harvey, The New Imperialism (New York: Oxford University Press, 2003) ; Michel Husson, « Le néolibéralisme, stade suprême ? », Actuel Marx n° 51, no 1 (30 mai 2012): 86‑101, https://doi.org/10.3917/amx.051.0086.
[16] Comme le précisent nos auteurs : « Aucune transition historique ne s’effectue comme une coupure au scalpel, plusieurs éléments anciens et nouveaux cohabitant durant une certaine période de temps. » (p.167) C’est tout à fait juste, mais il s’agit surtout d’une stratégie visant à échapper à la réfutation scientifique (ce qui rend une théorie invalide). Si un contradicteur leur pointait les problèmes théoriques et empiriques de leur coupure du capitalisme algorithmique, Durand Folco et Martineau pourraient se cacher derrière la complexité du réel et ses aspects – toujours – combinés.
[17] Durand Folco et Martineau, 168.
[18] Tableau simplifié de leur périodisation complète, voir : Durand Folco et Martineau, 168.
[19] ILO, « Emploi et questions sociales dans le monde. Data Finder », 2023, <https://www.ilo.org/wesodata>/.
[20] Alejandro Portes et Manuel Castells, éd., The Informal Economy: Studies in Advanced and Less Developed Countries (Baltimore: Johns Hopkins University Press, 1991).
[21] Il existe quelque chose comme une « petite-bourgeoisie informelle », propriétaires d’entreprises informelles ou salariés qualifiés employés dans l’informalité. Voir : Alejandro Portes et Kelly Hoffman, « Latin American Class Structures: Their Composition and Change during the Neoliberal Era », Latin American Research Review 38, no 1 (2003): 41‑82.
[22] Jan Breman et Marcel van der Linden, « Informalizing the Economy: The Return of the Social Question at a Global Level », Development and Change 45, no 5 (septembre 2014): 920‑40, https://doi.org/10.1111/dech.12115 ; Henry Bernstein, « Reserve Army, Surplus Population, Classes of Labour », in Handbook of research on the global political economy of work (Northampton: Edward Elgar Publishing, 2023) ; Mike Davis, Planet of slums (London/New York: Verso, 2017).
[23] James M. Cypher, « From Structuralism to Neoliberal Depredation and Beyond: Economic Transformations and Labor Policies in Latin America, 1950–2016 », Latin American Perspectives 45, no 1 (janvier 2018): 24‑46, https://doi.org/10.1177/0094582X17730370 ; Alejandro Portes et Bryan R. Roberts, « The Free-Market City: Latin American Urbanization in the Years of the Neoliberal Experiment », Studies in Comparative International Development 40, no 1 (mars 2005): 43‑82, https://doi.org/10.1007/BF02686288.
[24] Fred Magdoff et Harry Magdoff, « Disposable Workers: Today’s Reserve Army of Labor », Monthly Review 55, no 11 (2004).
[25] Durand Folco et Martineau, 44.
[26] Durand Folco et Martineau, 45.
[27] Nous soulignons. Durand Folco et Martineau, 166‑67.
[28] Andreas Malm et Zetkin Collective, White Skin, Black Fuel: on the Danger of Fossil Fascism (London/New York: Verso, 2021).
[29] Andreas Malm, L’anthropocène contre l’histoire: Le réchauffement climatique à l’ère du capital (Paris: la Fabrique éditions, 2021), 157.
[30] Karl Marx, Le Capital. Livre II. Le procès de circulation du capital., trad. par Gilbert Badia, Cohen-Solal, et Erna Cogniot, vol. 2 (Paris: Éditions sociales, 1977), 27.
[31] Dans leur « formule générale du capital algorithmique », Durand Folco et Martineau présentent essentiellement le même mouvement, mais en remplaçant la catégorie « argent », par le concept de « données massives » (ce qui est inexact, puisque les données massives doivent elles aussi être vendues et achetées sous la forme argent). Voir Durand Folco et Martineau, 135.
[32] Durand Folco et Martineau, 160.
[33] Alexander Anievas et Kerem Nişancıoğlu, How the west came to rule: the geopolitical origins of capitalism (London: Pluto Press, 2015), 26.
[34] Sur le caractère révolutionnaire du chemin de fer, voir : Enzo Traverso, Révolution: une histoire culturelle, trad. par Damien Tissot (Paris: la Découverte, 2022), 37‑84.
[35] Ulrich Brand et Markus Wissen, Le mode de vie impérial. Vie quotidienne et crise écologique du capitalisme (Québec: Lux Éditeur, 2021).
[36] Durand Folco et Martineau, 161.
[37] Durand Folco et Martineau, 161.
[38] Durand Folco et Martineau, 161.
[39] Durand Folco et Martineau, 213.
[40] Durand Folco et Martineau, 167.
[41] Michel Freitag, Introduction à une théorie générale du symbolique, Dialectique et société 1 (Montréal: Éditions coopératives Albert Saint-Martin, 1986), 55.
[42] Là-dessus, on peut renvoyer au classique Fredric Jameson, Postmodernism or the Cultural Logic of Late Capitalism, Post-contemporary interventions (Durham, NC: Duke University Press, 2005).
[43] Durand Folco et Martineau, 208.
[44] Durand Folco et Martineau, voir thèse 10.
[45] Durand Folco et Martineau, 158.
[46] Durand Folco et Martineau, 164.
[47] John Charles Smith, Imperialism in the Twenty-First Century: Globalization, Super-Exploitation, and Capitalism’s Final Crisis (New York: Monthly Review Press, 2016), 28.
[48] Durand Folco et Martineau, Le Capital algorithmique, 101.
[49] Durand Folco et Martineau, 106.
[50] Claudio Katz, Sous l’empire du capital (Montréal: M Éditeur, 2014), 43.
[51] Durand Folco et Martineau, Le Capital algorithmique, 167.
[52] Guy Standing, The Precariat : the New Dangerous Class (London, UK ; New York, NY: Bloomsbury, 2014).
[53] Ajoutons que le précariat n’est pas une classe, mais une fraction de classe du prolétariat. Voir: Erik Olin Wright, Understanding Class (London New York: Verso, 2015), 157‑74.
[54] Breman et van der Linden, « Informalizing the Economy » ; Ronaldo Munck, « The Precariat: A View from the South », Third World Quarterly 34, no 5 (juin 2013): 747‑62, https://doi.org/10.1080/01436597.2013.800751.
[55] Karl Marx, Le Capital. Livre I, trad. par Jean-Pierre Lefebvre, Nouvelle éd., vol. 1, Quadrige (Paris: PUF, 2014), 444.
[56] En accord avec la théorie de l’accumulation de Marx, les salaires ne peuvent monter que lorsque la demande de travail des capitalistes est plus élevée que la population ouvrière active. Voir Marx, 1:705.
[57] Prabhat Patnaik, « Contemporary Imperialism and the World’s Labour Reserves », Social Scientist 35, no 5/6 (2007): 3‑18.
[58] Smith, Imperialism in the Twenty-First Century; John Bellamy Foster, Robert W McChesney, et R. Jamil Jonna, « The Global Reserve Army of Labor and the New Imperialism », Monthly Review, 2011, https://monthlyreview.org/2011/11/01/the-global-reserve-army-of-labor-and-the-new-imperialism/; John O’Connor, « Marxism and the Three Movements of Neoliberalism », Critical Sociology 36, no 5 (septembre 2010): 691‑715, https://doi.org/10.1177/0896920510371389.
[59] Durand Folco et Martineau, Le Capital algorithmique, 170.
[60] Michel Husson, « Postface de Michel Husson. La théorie des ondes longues et la crise du capitalisme contemporain », in Les ondes longues du développement capitaliste: une interprétation marxiste, par Ernest Mandel (Québec: M Éditeur, 2015).
[61] Ernest Mandel, Les ondes longues du développement capitaliste. Une interprétation marxiste (Québec: M Éditeur, 2015), 79.
[62] Mandel, 78.
[63] Durand Folco et Martineau, 170.
[64] Voir les statistiques de la Banque Mondiale :
<https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/NV.IND.TOTL.ZS?locations=OE-US>
[65] Durand Folco et Martineau, 165.
[66] Google, Apple Facebook, Amazon et Microsoft.
[67] Durand Folco et Martineau, Le Capital algorithmique, 170.
[68] Voir : https://www.statista.com/statistics/254266/global-big-data-market-forecast/
[69] Roger Dangeville, « Préface », in La Crise, par Karl Marx et Friedrich Engels, 10-18 (Paris: Union générale d’éditions, 1978).
[70] Ou, pour reprendre l’expression de Baudelot, Establet et Malemort, les membres de la petite bourgeoisie ont un salaire basé sur la « rétrocession de plus-value ». Ce sursalaire, pris sur l’exploitation du prolétariat, fait que les membres de la petite-bourgeoisie sont peu ou pas exploités. Voir : Christian Baudelot, Roger Establet, et Jacques Malemort, La petite bourgeoisie en France, Petite collection Maspero 252 (Paris: Éditions Maspero, 1974).
[71] Durand Folco et Martineau, 172.
[72] Durand Folco et Martineau, 182.
[73] Durand Folco et Martineau, 193.

