LA 92 : un film de Daniel Lindsay et T.J. Martin (2017)
En mars 1991, à Los Angeles, la police poursuit et arrête l’Afro-Américain Rodney King, un chauffeur de taxi, pour vitesse au volant. Les policier.ères sortent King du véhicule avant de l’électrocuter et de le battre à coups de matraque durant plusieurs minutes : un passage à tabac brutal qui est filmé. Les médias s’emparent de cet épisode de violence alors que le public est sous le choc. Le 29 avril 1992, les quatre policiers (blancs) responsables du passage à tabac de King sont acquittés par un jury (dans lequel il ne se trouve aucun.e Noir.e) d’une petite ville voisine de Los Angeles où s’est tenu le procès. Le quartier de South Central s’embrase alors : les six jours d’émeutes qui suivent cet acquittement font (au moins) 58 mort.es et 2 300 blessé.es, alors que plus de 11 000 personnes sont arrêtées. Ce sont ces jours d’émeutes que présente le documentaire LA 92, sorti en 2017. Ce documentaire, produit par la National Geographic à l’occasion du 25e anniversaire des émeutes, offre un collage d’images d’archives et d’extraits d’interviews sans narration.
Le documentaire s’ouvre sur des images d’archives plus anciennes, celles des émeutes de Watts en août 1965. Ces images servent d’introduction à une réflexion sur la perpétuation du racisme systémique aux États-Unis, dans lequel s’inscrit le tabassage de Rodney King ainsi que le procès (dont on voit l’évident trucage) et l’acquittement des policiers coupables. L’autre cause directe des émeutes de 1992 est aussi présentée, l’assassinat absolument injustifié de Latasha Harlins, 15 ans, par une commerçante coréenne, qui est elle aussi acquittée en raison du racisme anti-noir du système de justice américain. Ce sont donc le racisme systémique, la constante dévaluation de la vie des Noir.es et l’impunité de leurs bourreaux qui causent les émeutes de Los Angeles – causes honnêtement présentées dans le premier tiers du film.

La partie centrale du documentaire est consacrée aux jours d’émeutes. Si le film présente les émeutes comme un évènement prévisible et dans une certaine mesure compréhensible, il traite pourtant celles-ci comme un mouvement passionnel, déraisonnable et d’une violence inacceptable. Le ton est plutôt condescendant envers les émeutier.ères, à la juste colère, mais dont les actions sont vues comme néfastes et dépolitisées. Les émeutes auraient donc une cause politique mais ne le seraient pas en elles-mêmes. Les réalisateurs ne semblent pas voir ce que les images qu’ils présentent communiquent. Les attaques contre les Blanch.es (le premier jour des émeutes), puis contre des commerces et leurs propriétaires non-noir.es, puis contre les quartiers des élites tels que Hollywood, sont pourtant des actions extrêmement politiques et cohérentes dans une lutte contre les oppresseur.es et le système d’oppression capitaliste et raciste. On voit de plus les émeutier.ères protéger les quartiers noirs contre les forces de l’ordre et protéger les commerces et les logis des Noir.es du pillage et des flammes, ce qui souligne plus encore le caractère cohérent des émeutes de 1992.

Une autre faute du documentaire est son ignorance volontaire des mouvements politiques noirs en amont des émeutes, alors même qu’on voit lors des discours et des émeutes plusieurs symboles liés à Malcolm X et au Black Power, qui inspirent clairement les révolté.es de 1992. Le caractère politique des pillages n’est abordé qu’une fois dans le documentaire, lorsqu’on entend un émeutier expliquer que malgré son travail acharné, il n’a jamais accès à la marchandise et que c’est pour cela qu’il pille. Le documentaire ne parle pas non plus des suites politiques des émeutes, notamment l’organisation de protestations à Seattle, Oakland, San Francisco, New York, Philadelphie et Atlanta (entre autres). Les émeutes de Los Angeles forment en effet l’épicentre d’un mouvement conscient et dynamique de lutte contre le racisme systémique aux États-Unis. Elles participent au renouveau du mouvement Black Power perceptible dans les années 1990, en remettant de l’avant des pratiques offensives ou en servant d’inspiration à des artistes noir.es, notamment hip-hop. Le documentaire préfère pourtant présenter un « retour du même » quant au racisme systémique et souligner la réconciliation entre les communautés coréenne et noire qui avaient été divisées lors des émeutes.

En bref, le documentaire LA 92 refuse de voir dans la destruction de la propriété privée et dans les attaques contre des individus des gestes conscients et révolutionnaires. Si le documentaire s’ouvre par une lecture du racisme systémique aux États-Unis, il abandonne sa grille de lecture systémique et critique lorsqu’il est question des émeutes. Au lieu de se focaliser sur les dynamiques politiques à l’œuvre, le film préfère s’appesantir sur le conflit opposant les populations coréenne et afro-américaine. Le documentaire traite finalement avec une certaine complaisance le « rétablissement de l’ordre » par la garde nationale, qui fut brutal. À partir de là, il n’y a plus de réflexion politique : on préfère une morale plaquée sur la réconciliation interculturelle à une conclusion politique, ainsi qu’une mise en garde contre le danger de nouvelles émeutes. Et comme cela est attendu, les accusations contre les politicien.nes républicain.nes n’ont d’égal que la complaisance envers les élu.es démocrates. En somme, les réalisateurs se montrent incapables d’aller jusqu’au bout de leur réflexion sur le racisme.

Les lacunes idéologiques et critiques nombreuses ne doivent pas nécessairement détourner de ce documentaire, car celui-ci présente tout de même de nombreuses et rares images des émeutes de 1992, desquelles la spectatrice ou le spectateur critique saura faire une lecture politique. Le documentaire présente aussi de bons exemples du racisme structurel américain et des faits intéressants sur les émeutes de 1992, ce qui permet d’étayer notre compréhension de ces situations. En somme, un film à voir – pour ses images, pour sa description du racisme – mais pas à croire en raison de son manque d’esprit critique.
LA 92 (d’une durée de 1 h 54 min) est disponible en haute définition gratuitement sur YouTube.

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