ÉMEUTE À LA DOMINION TEXTILE – 1946

À l’été 1946, les 3000 travailleur.euses de la Dominion Textile de Valleyfield ainsi que 3000 travailleur.euses de quatre usines de la même compagnie à Montréal sont en grève. Les ouvrièr.es exigent notamment une augmentation de salaire de quinze cents de l’heure, la semaine de travail de quarante heures, une compensation pour le travail supplémentaire, de meilleures conditions de travail et la reconnaissance du syndicat. Le conflit se règle le 26 juillet à Montréal mais se poursuit à Valleyfield où, le 13 août, une confrontation entre grévistes et policiers tourne à l’émeute. Cette grève durera 100 jours.

Jusque dans les années 1970, au Canada, les femmes et les enfants forment une vaste proportion des travailleur.euses de l’industrie textile. Pendant longtemps, l’industrie du coton reste un secteur manufacturier aux conditions de travail pénibles, où les salaires sont les plus bas et les heures de travail les plus longues (une semaine de 65 heures est courante, sans compter le temps que les femmes et les jeunes filles doivent fournir en travail domestique gratuit). On ne s’étonne pas que, dans ce contexte, l’industrie du coton ait été l’un des premiers secteurs dans lequel les femmes soient devenues membres des syndicats. En 1946, la Montreal Cottons de Valleyfield, une des plus importantes usines du consortium de la Dominion Textile, emploie jusqu’à 50% de la population active de Valleyfield. Les ouvrières de l’usine sont alors membres de la section locale no.7 (Les Dames et Demoiselles de Valleyfield) de l’OUTA (Ouvriers Unis du Textile d’Amérique).

Durant la période d’après-guerre, les propriétaires des manufactures de textile continuent d’engranger des profits faramineux, tout en payant des salaires de misère à leurs employé.es : le retour à la paix favorise l’intransigeance des patrons à l’endroit des revendications ouvrières. Dans le cas spécifique des filatures de la Dominion Textile, les patrons profitent du retour à la paix pour annuler les augmentations de salaires octroyées durant la guerre et pour s’attaquer aux conditions de travail de leurs employé.es. Le travail à la pièce est imposé dans le but d’augmenter les cadences. De plus, la compagnie refuse de négocier un contrat de travail. Dans ce climat d’après-guerre marqué par l’inflation, c’est la recette pour la misère.

Au Québec, Duplessis et sa « loi du cadenas » (loi anti-communiste et anti-syndicale) répriment fortement tout ce qui pourrait s’apparenter à de l’agitation syndicale. De plus, le clergé use de son influence idéologique pour inciter les ouvrières et ouvriers à prendre « leur juste place » dans la société. Ainsi, lorsque les ouvrières et les ouvriers de la manufacture de Valleyfield se mettent en grève le 1er juin 1946, leur action est immédiatement déclarée illégale.

Les grévistes devant les fenêtres cassées du moulin Empire, rue Dufferin (Salaberry-de-Valleyfield) le 13 août 1946 (Source : Collection Murielle Halley).

La participation des femmes dans cette grève a été substantielle et fut une des raisons de son succès – autant pour le rôle des ouvrières syndiquées sur les piquets de grève que dans l’important et l’exigeant travail de coulisse fourni par les femmes de la communauté de Valleyfield. On notera par exemple l’installation d’une cantine qui, dès le début de la grève, offre de la nourriture aux grévistes. Un travail fondamental, qui le plus souvent reste invisible aux yeux d’observateur.trices extérieur.es. Les initiatrices de la cantine (souvent les mères ou les épouses des ouvriers de l’usine) sollicitaient les marchands et les fermiers pour obtenir de la nourriture.

À ceux qui ne supportaient pas la cause des grévistes, elles « faisaient comprendre […] [qu’elles étaient] en lutte, que ce combat allait finir un jour et que les travailleurs et travailleuses se rappelleraient d’eux, à savoir s’ils avaient appuyé les grévistes ou s’ils avaient contribué à leur répression ».

Madeleine Parent, Coton ’46

Bien que la population de l’usine soit mixte, les ouvrières syndiquées ont des revendications spécifiques : en plus des questions de salaire et des conditions de travail, les griefs les plus importants concernent le harcèlement sexuel, l’ancienneté, les congés de maternité et l’embauche des femmes mariées. Toutes ces demandes sont liées : les demandes de congés de maternité sont indissociables de la demande d’embauche des femmes mariées, l’ancienneté empêche que les femmes ne retombent à la case départ après un accouchement et permet de diminuer les abus de pouvoir de la part des contremaîtres, notamment dans les cas de harcèlement sexuel, alors endémiques. La participation des femmes au syndicat, sans être nouvelle, est encouragée par la présence au sein de la direction syndicale de Madeleine Parent, ce qui contribue à donner voix au chapitre aux femmes dans un univers majoritairement masculin.

Le 10 août, le patronat, avec la collaboration de la police et du clergé local, font entrer des briseurs de grève dans la filature. Pour faire cesser cet affront, le matin du 13 août, les femmes organisent une contre-attaque. Elles se téléphonent et mettent au travail tous les livreurs (de pain, de lait, de glace) de la ville pour faire passer le message à toutes celles qui supportent la grève : rassemblement devant l’usine à 11h00. Ainsi, à l’heure prévue, presque toute la ville est devant l’usine : les femmes de la communauté, les ouvrières, les enfants, les hommes. Les scabs ne peuvent pas travailler cette journée-là. Parce que le rassemblement tourne à l’émeute. Les grévistes lancent roches et pavés vers les policiers et renvoient à ceux-ci les bombes fumigènes lancées pour disperser le rassemblement. Devant la détermination des manifestant.es, les policiers sont forcés de capituler ; la police provinciale et la police privée de la compagnie quittent prestement la ville.

À la suite de l’émeute, le patronat se soumet aux demandes des ouvrières et des ouvriers et entame des négociations. Le conflit se solde le 5 septembre par l’obtention d’une première convention collective qui inclut entre autres des clauses contre le favoritisme et le congédiement non motivé, des augmentations de salaire et la reconnaissance syndicale. En contrepartie, Madeleine Parent, Kent Rowley et les autres dirigeants du syndicat seront arrêtés par l’État pour conspiration séditieuse et incitation à l’émeute.

Souvent oblitéré, le rôle des femmes dans les luttes populaires mérite qu’on s’y attarde et qu’on le revalorise. Durant toute la grève de 1946, « qu’elles aient été membres du syndicat ou non, les femmes avaient démontré qu’il pouvait y avoir plus d’une façon de militer ». Sur les piquets de grève, au soutien logistique ou à la maison, c’est le travail des femmes qui a fait pencher la balance en faveur de la victoire ouvrière.

MP
Madeleine Parent, Marche du 1er Mai, vers 1947.

Le présent texte tire sa matière principalement de l’article Cent jours dans la vie des Campivallensiennes. La grève de 1946 à Salaberry-de-Valleyfield (2008) de l’historienne féministe Lucie Bettez. Madeleine Parent nous raconte, dans cette entrevue de 1974, le déroulement de la grève de 1946. Pour approfondir vos connaissances sur les luttes ouvrières et populaires au Québec, voici quelques bons ouvrages :

Bibliographie

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