Cet article a été publié au mois de mars 1973 dans le journal de théorie féministe et révolutionnaire Québécoises Deboutte ! (QD). D’abord l’organe du Front de libération des femmes (FLF, 1969-1971), Québécoise Deboutte ! devient ensuite la revue du Centre des femmes (1972-1975). Fondé par des militantes du FLF et du Comité ouvrier de Saint-Henri, le Centre des femmes est à la fois un groupe politique et un lieu d’organisation féministe qui s’adresse aux ménagères, aux travailleuses et aux étudiantes. L’équipe du Centre anime notamment une clinique de conseils en avortement dans un contexte où cette pratique médicale est illégale et inaccessible aux femmes des classes populaires, tout en éditant leur journal qui rejoint à l’époque plus de 2000 abonnées.
Par le biais d’enquêtes sur le terrain et sur les luttes des femmes à travers le monde, Québécoises Deboutte ! théorise l’exploitation capitaliste et l’oppression sexiste que vivent les femmes d’ici. Par leurs recherches historiques, les militantes de QD cherchent aussi à mettre en valeur les luttes passées, l’intelligence et la combativité des ouvrières, ainsi que l’engagement révolutionnaire de nombreuses militantes.
Voici donc, en réédition, un article publié par QD en 1973 qui rend compte de l’origine révolutionnaire de la journée du 8 mars et du lien qui existe entre cette journée et les luttes des ouvrières, qui dès la fin du XIXe siècle réclamaient de meilleures conditions de travail, le droit de vote et, plus globalement, l’égalité et la fin des discriminations à leur égard. L’article propose un historique succinct des grèves menées par les travailleuses d’ici depuis 1900.
Bien qu’elle naisse dans un contexte de luttes internationales au début du XXe siècle, la journée du 8 mars est célébrée uniquement par les pays socialistes jusqu’aux années 1960, la Russie soviétique étant le premier pays à l’officialiser en 1921. Les mouvements féministes qui émergent au tournant des années 1970 se réapproprient le 8 mars, avant que l’ONU en fasse une journée internationale en 1977. En insistant sur le caractère anticapitaliste de la Journée internationale des femmes, les militantes de QD réinscrivent les luttes féministes pour la dignité et l’égalité dans une perspective révolutionnaire. Elles cherchent ainsi la transformation radicale des structures sociales et du système économique qui permet d’envisager un monde débarrassé de l’oppression et de l’exploitation.



De gauche à droite : 10 mars 1984, par Robert Mailloux (BAnQ, fonds La Presse), manifestation en faveur du droit à l’avortement (BAnQ, Fonds Antoine Desilets), manifestation intersyndicale du 8 mars 1979 à Montréal, par Henri Rémillard (BAnQ, Fonds Ministère de la Culture et des Communications).
8 MARS : LA JOURNÉE INTERNATIONALE DES FEMMES
Québécoises Deboutte ! (vol.1, no.4, mars 1973)
Comme le 1er mai pour les travailleur·euse·s québécois·e·s, le 8 mars revêt peu de signification pour la majorité des femmes québécoises. À peine soulignée par les médias, tristement célébrée par les organisations féminines réformistes, la Journée internationale des femmes passe en douce. C’est que les exploiteurs n’ont pas intérêt à ce que les Québécoises commémorent les luttes qu’elles ont menées contre eux. Ils n’ont pas intérêt non plus à ce qu’elles affirment bien haut leur volonté de continuer le combat, liant leur lutte contre toutes les formes d’exploitation à celles que mènent les femmes partout dans le monde.
Mais nos intérêts ne sont pas les mêmes que ceux des exploiteurs. Les femmes d’ici et d’ailleurs ont toujours lutté pour le respect de leurs droits et l’amélioration de leurs conditions d’existence. Le combat que nous menons n’est donc pas nouveau et commémorer ces dures luttes ne peut que renforcir notre détermination à vaincre. C’est dans ce sens qu’il est important que nous fassions revivre la Journée internationale des femmes et que nous lui redonnions le contenu révolutionnaire qu’elle avait à ses origines.
8 mars : une tradition de luttes
Le 8 mars 1857 dans le Lower East Side de New York : des travailleuses du textile et du vêtement manifestent contre la journée de 12 heures, les bas salaires et les mauvaises conditions de travail. Quand le défilé sort des quartiers pauvres vers les secteurs plus riches de la ville, la police intervient et attaque les manifestantes. Plusieurs sont arrêtées, certaines sont piétinées par les chevaux dans la confusion qui s’ensuit. Trois ans plus tard, en mars 1860, ces femmes forment leur propre syndicat.
Le 8 mars 1908, sous l’instigation de militantes socialistes, des milliers de femmes de l’industrie de l’aiguille marchent de nouveau, encore à partir du Lower East Side de New York. À 51 ans de distance, les revendications sont sensiblement les mêmes : heures de travail plus courtes et meilleures conditions de travail. S’y ajoutent une condamnation du travail des enfants et la réclamation du droit de vote.
Deux ans plus tard, à Copenhague, au Congrès de la 2e Internationale socialiste, Clara Zetkin, une des dirigeantes du Parti socialiste allemand fait approuver une motion présentée par les militantes américaines proclamant le 8 mars, Journée internationale des femmes, en commémoration de la violente grève des travailleuses du textile de New York.
En 1911, pour la première fois, la Journée internationale des femmes est célébrée avec éclat en Allemagne, en Autriche, au Danemark, en Suisse et aux États-Unis.
Le 8 mars 1914, Clara Zetkin organise une manifestation à laquelle participent des milliers de femmes pour protester contre la course à la guerre en Allemagne, et l’arrestation de Rosa Luxembourg, militante socialiste (le Kaiser disait de Clara Zetkin qu’elle était « la plus dangereuse menace de l’Empire »).
Le 8 mars 1917, les travailleuses du textile de Petrograd se mettent en grève pour protester contre leurs mauvaises conditions de travail, la famine et les longues filées d’attente pour se procurer du pain. Des milliers de femmes descendent dans la rue. D’autres travailleurs manifestent leur solidarité avec la lutte des femmes et c’est bientôt la grève générale qui sera à l’origine de la révolution russe.
« les femmes
doivent conquérir
la moitié du ciel »
Mao
8 mars : la lutte continue
Le 8 mars, ça n’est donc pas une mini fête des Mères, ce seul jour dans l’année où l’on vient sanctifier notre rôle servile pour mieux nous y maintenir. Tout au contraire, la Journée internationale vient souligner l’extrême combativité des femmes à travers l’histoire et poser que c’est dans la lutte contre toute forme d’exploitation que nous trouvons notre dignité.
Travailleuses, ménagères, étudiantes québécoises rappelons-nous en ce jour les luttes héroïques des travailleuses québécoises, particulièrement celles des femmes du textile et du vêtement, qui depuis plus de cent ans s’opposent violemment à cette poignée de capitalistes qui surexploitent leur force de travail. Citons entre autres:
1900 | Grève de la Montreal Cotton Mills. 15 jours. |
1900 | Grève à la filature de Valleyfield. Les travailleuses doivent retourner au travail sous la pression de l’armée fédérale. L’année suivante, elles se remettront en grève. |
1900- 1908 | Les travailleuses du textile mèneront plus de 40 grèves, extrêmement dures. |
1934 | Les ouvrières de l’aiguille ferment 125 boutiques à Montréal. Matraquées par des fiers-à-bras, elles doivent « se défendre des charges policières, en enfonçant des épingles dans les chairs des chevaux ». Le lendemain, « les autorités publiques parlèrent d’émeutes et il y eut 12 arrestations: dix femmes et deux hommes[1] ». |
1935- 1940 | Le textile et la confection connaissent des grèves importantes. Trois-Rivières, Sorel, Sherbrooke, Saint-Hyacinthe, Acton Vale, Louiseville sont touchées. À Montréal, 4 000 ouvrières de la robe se mettent en grève du 16 avril au 6 mai 1937. |
1946 | Grève du textile à Valleyfield ; 99 jours. Violence. |
1947 | Grève à Ayers de Lachute ; 152 jours. Grève à Shuttle de Lachute ; 132 jours. Madeleine Parent est accusée de conspiration séditieuse et condamnée à 2 ans de prison. |
1952 | Grève du textile à Louiseville. 321 jours. Violence. |
1972 | Regent Knitting : occupation. |
1973 | Susa Van Heusen de la Canadian Converters. Pierrette Troie accuse la CSD de ne pas être intervenue à l’avis de fermeture de l’usine. Elle est expulsée de son syndicat pour avoir sollicité de l’aide de l’extérieur. |
Travailleuses, ménagères, étudiantes québécoises proclamons en ce jour notre détermination à poursuivre le combat jusqu’à ce que tous nos droits soient respectés. Québécoises Deboutte ! travaillons à mettre fin à toutes les formes d’exploitation, y compris la discrimination sexuelle exercée envers les femmes sur le plan social, économique politique et culturel.
Québécoises Deboutte !
LA LUTTE DES FEMMES CONTINUE
[1] Dumas, Évelyne. Dans le sommeil de nos os. Leméac, 1971. Page 170.



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