LA DIFFUSION DES IDÉES RÉVOLUTIONNAIRES AU QUÉBEC – Une histoire courte

Les idées révolutionnaires, sur le territoire qu’on appelle Québec, ont été d’abord peu diffusées ; elles l’ont de plus été assez tard en comparaison à d’autres États occidentaux. Cette diffusion a été en premier lieu l’affaire de quelques personnes militantes qui insufflèrent des idées révolutionnaires en émigrant au Québec. Par exemple, après la Commune de Paris (1871), il semble que quelques anciens communards émigrés à Québec et à Montréal aient joué un rôle dans les grèves des années 1870. Il en est ainsi d’Édouard Beaudoire, ancien communard dont la participation à la grève sauvage des travailleurs du bâtiment de Québec en juin 1878 est documentée ; grève durant laquelle il trouva d’ailleurs la mort. À la même époque, on publie quelques journaux anticléricaux d’inspiration républicaine et révolutionnaire comme La Lanterne d’Arthur Buies.

C’est surtout à partir des années 1900, notamment au sein de la communauté juive de Montréal, que se développe un réseau diffusant des idées révolutionnaires. La communauté juive de Montréal, alors en pleine expansion, est perméable aux influences socialistes et anarchistes de New York. À cette époque, des migrant.es juif·ve·s, originaires de l’Europe de l’Est, apportent leurs idées et pratiques révolutionnaires de New York jusqu’à Montréal. Outre l’organisation des cercles de lecture et la promotion des idées radicales dans leur milieu de travail, ces militant·e·s créent une ligue d’entraide pour les travailleur·euse·s et ouvrent une première librairie anarchiste sur la rue Saint-Laurent, vers 1903. Ces cercles militants s’intéressent entre autres aux Bourses du Travail françaises et à l’anarcho-syndicalisme. En 1908, Emma Goldman (1869-1940), la célèbre militante anarchiste, est invitée à prononcer des conférences à Montréal.

Quelques années plus tard apparaissent d’autres organisations qui font la promotion des idées révolutionnaires libertaires, socialistes et communistes. Entre autres, le Parti socialiste du Canada commence à diffuser ses idées révolutionnaires durant ces mêmes années en organisant par exemple, en 1906, le premier défilé du 1er Mai à Montréal. Des organisations ouvrières étrangères établissent aussi des sections à Montréal telles que le syndicat révolutionnaire français de la CGT (Confédération Générale du Travail) et le syndicat révolutionnaire américain IWW (Industrial Workers of the World). Pendant les années 1900 et jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, le militant communiste libertaire Albert Saint-Martin (1865-1947) jouera un grand rôle dans la diffusion des idées révolutionnaires au Québec. Membre de plusieurs partis socialistes au début des années 1900, Saint-Martin décide rapidement d’orienter ses activités vers la diffusion des idées révolutionnaires. Pour ce faire, il écrit de nombreuses brochures qu’il s’emploie à faire imprimer et à diffuser auprès des ouvrier·ère·s. En 1925, il fonde avec des camarades l’Université ouvrière de Montréal. Cette université populaire offre des cours de littérature, de philosophie, de politique et d’autres sujets auxquels les ouvrier·ère·s n’ont pas accès dans le Québec élitiste et conservateur de l’époque. L’Université ouvrière encourage les débats et met sur pied une bibliothèque publique pour les travailleurs et les travailleuses.

Dans les années 1930, suite à la Crise économique de 1929, la diffusion des idées révolutionnaires est de plus en plus prise en charge par les syndicats et les partis communistes, où de nombreuses personnes issues de l’immigration jouent à nouveau un rôle important. Par exemple, la militante Léa Roback (1903-2000) joue un rôle majeur dans la syndicalisation des femmes ouvrières et dans leur lutte pour le droit de vote. Roback participe à l’éducation populaire auprès des ouvrières, les encourageant à s’éduquer tout en participant à la diffusion du socialisme. Au même moment, le Parti communiste du Canada, fondé en 1921, diffuse aussi la pensée communiste au Québec, notamment à Montréal. Il n’est pas le seul. D’autres organisations, comme le Parti ouvrier du Québec, tentent de diffuser le communisme auprès des travailleur·euse·s. Leurs efforts portent fruit, et pas seulement dans la métropole ; on voit ainsi les communistes jouer un rôle de premier plan dans la grève des Fros à Noranda en 1934.

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En 1937, 5000 travailleuses de la confection manifestent à Montréal, dans le cadre d’une grève qui dure trois semaines au terme de laquelle les ouvrières obtiennent la reconnaissance de leur syndicat ainsi que de meilleures conditions de travail.

La Guerre d’Espagne, déclenchée en 1936, qui oppose anarchistes, socialistes et communistes aux forces fascistes du général Franco, sera aussi une occasion de faire la promotion des idées révolutionnaires au Québec. Par des conférences et des publications, plusieurs groupes révolutionnaires discutent de cette guerre et en profitent pour diffuser leur pensée. Un bataillon de volontaires antifranquistes est d’ailleurs formé au Canada, le bataillon Mackenzie-Papineau, qui enverra environ 1 500 volontaires lutter contre les fascistes en Espagne. Durant cette période, ce sont les communistes qui ont la plus grande audience au Québec. Pourtant, dès 1937, le gouvernement réactionnaire de Maurice Duplessis impose la Loi du cadenas qui facilite les arrestations des militant·e·s et qui permet de fermer tout local soupçonné de « propagande communiste ». Quelques années plus tard, la Loi sur les mesures de guerre (loi fédérale cette fois), originellement votée en 1914 et réactivée en août 1939, renforce les pouvoirs des corps policiers du Canada et du Québec. Forts de ces deux lois, les policiers appliquent une répression très dure envers les militant·e·s d’extrême-gauche et en particulier les communistes. Cela réduit fortement la diffusion des idées radicales au Québec jusqu’à la fin des années 1950.

AN - UQAM

Dans les années 1960, comme ailleurs dans le monde, on assiste au Québec à un renouveau des organisations révolutionnaires ainsi que de leurs organes de diffusion. On voit émerger de nouveaux partis communistes antistaliniens qui publient et diffusent des journaux auprès des travailleur·euse·s et des étudiant·e·s. La Revue socialiste est créée en 1959 par Raoul Roy (1914-1996). On y fait la promotion d’un socialisme qui serait adapté à la situation du Québec en introduisant l’idée d’une province colonisée au même titre que les territoires colonisés d’Afrique ou d’Asie. La célèbre revue Parti Pris (1963-1968) propage elle aussi un discours nationaliste et révolutionnaire, inspiré des luttes de décolonisation en cours ailleurs dans le monde. Ce travail de diffusion sera poursuivi dans la maison d’édition du même nom, de 1964 à 1984. Notons que les forces de gauche de l’époque se centrent principalement sur l’expérience canadienne-française et ne traitent pas, pour la plupart, du processus colonial d’appropriation du territoire et d’élimination des peuples et des cultures autochtones. Le plus connu de ces mouvements nationalistes de gauche est le Front de libération du Québec (FLQ), créé en 1963, qui se fait rapidement connaître grâce à ses attentats à la bombe. À la même époque, certaines organisations étudiantes commencent aussi à être imprégnées par des idées révolutionnaires. Durant la grève d’octobre 1968, on verra se multiplier des actions sauvages fréquemment accompagnées de slogans révolutionnaires.

Partipris
Parti Pris, d’abord une revue socialiste et nationaliste (1963-1968) puis une importante maison d’édition de gauche au Québec dans les années 1970.

Les années 1970 voient aussi se multiplier les initiatives révolutionnaires, communistes, populaires, féministes et libertaires. Des partis communistes comme le Parti communiste ouvrier (PCO) publient un journal diffusé à plusieurs milliers d’exemplaires. Des Comités d’action politique (CAP), mis sur pied par des travailleuses et travailleurs, publient leurs propres journaux. Le Front d’action politique (FRAP), un parti politique municipal (1969-1973) ayant un programme socialiste, possède aussi son journal. Ces organisations sont très actives dans la diffusion des idées révolutionnaires, car elles ont des locaux dans les quartiers où elles participent aux luttes qui agitent les classes populaires. Le journal radical Québécoises Deboutte ! est lancé en 1971. Cette initiative évolue rapidement pour mener à la création du Centre des Femmes qui défendra des positions féministes radicales, offrira une clinique d’avortement et fera de l’éducation populaire jusqu’à sa dissolution en 1975. Notons par ailleurs que la fondation d’un premier Centre des Femmes favorise l’émergence d’autres initiatives semblables : de nombreux Centre des Femmes à travers le Québec poursuivent, jusqu’à ce jour, la mission du premier centre issu de Québécoises Deboutte !

Le premier journal québécois ouvertement anarchiste écrit en français, La nuit, est lancé en 1976. Ce journal a comme slogan : La nuit où il n’y aura plus de maître du tout, en réponse au slogan du journal péquiste Le jour, qui rêve pour sa part… du Jour où nous serons maîtres chez nous. Enfin, c’est en 1974 que la librairie Alternative voit le jour. Elle partage d’abord un local avec la librairie l’Androgyne, avant de déménager au 2033, boulevard Saint-Laurent à Montréal, dans le même lieu où se trouve aujourd’hui la librairie anarchiste L’insoumise ! Le réseau de diffusion de textes libertaires La sociale, toujours actif, émerge également à ce moment-là.

Maison d'Haiti (1983)
Maison d’Haïti, 1983.

Au cours des années 1960 et 1970, divers groupes politiques issus des diasporas de l’Amérique et d’ailleurs s’organisent au Québec. Avec l’arrivée au pouvoir du dictateur François Duvalier en Haïti (élu en 1957, mais imposant un régime autoritaire dès ses premières années de règne), de nombreux.ses militant.es socialistes et communistes haïtien.nes sont forcé·e·s à l’exil et beaucoup s’installent à Montréal. La métropole québécoise jouera alors un rôle important dans la lutte des exilé·e·s contre la dictature en Haïti. Afin de s’organiser dans leur communauté, de faire connaître leur cause et de diffuser leurs idées révolutionnaires, un groupe d’exilé·e·s crée la Maison d’Haïti en 1972 : elle demeure très active jusqu’à aujourd’hui. Tout comme la communauté haïtienne, des groupes d’exilé·e·s chilien·ne·s (fuyant la dictature du général Augusto Pinochet), de Salvadorien·n·es (qui sont forcé.es à l’exil après le coup d’État militaire de 1972) ainsi que des personnes de plusieurs autres pays d’Amérique latine, aux prises avec des dictatures, trouvent refuge à Montréal. Ces communautés organisent une résistance à partir du Québec en diffusant leurs idées politiques par des journaux, le théâtre (par exemple, au sein du Théâtre latino-américain de Montréal) ou grâce à la chanson.

ElSalvador

Par ailleurs, les militant·e·s autochtones s’organisent dans la région des Grands Lacs autour du journal Akwesasne Notes qui assure une diffusion de nouvelles, de commentaires et de réflexions au sujet des luttes autochtones sur l’ensemble de l’Île de la Tortue (Amérique du Nord). Ce journal, fondé en 1969 par Ernest Benedict (1918-2011), est animé par les plus grand·e·s théoricien·ne·s autochtones du moment comme Vine Deloria Jr. et Winona LaDuke. Le journal demeurera avant tout un organe de réflexion pour les communautés des Premiers peuples. Akwesasne Notes atteindra un tirage de 15 000 exemplaires, avant de péricliter et de disparaître à la fin des années 1980. Dans un objectif semblable d’auto-organisation, des militant·e·s afro-québécois·e·s, surtout originaires des Antilles, publient au tournant des années 1960-1970 un journal anglophone par et pour les personnes noires, qui centre sa réflexion autour du Black Power. Ce journal, nommé Uhuru et sous-titré Black Community News Service atteindra un tirage équivalent à celui de la revue Parti Pris.

L’organisation la plus marquante de cette époque est sans doute le groupe marxiste-léniniste En lutte ! qui diffuse largement la pensée marxiste-léniniste pendant les années 1970. Le groupe possède une solide organisation avec des locaux à Valleyfield, à Montréal et à Sherbrooke ainsi que des sections dans plusieurs autres provinces du Canada. Mais le reflux des mouvements révolutionnaires au tournant des années 1980 et le détournement des militant·e·s des organisations idéologiquement sclérosées que sont devenus les partis marxistes-léninistes auront raison de l’organisation en 1982. Les groupes marxistes-léninistes révolutionnaires n’auront d’ailleurs plus jamais la même ampleur au Québec. Les quelques groupes marxistes-léninistes qui survivent aux années 1980 n’arriveront plus à diffuser une pensée dynamique, à l’exception du journal Socialisme maintenant publié au cours des années 1990.

Quelques initiatives viennent heureusement éclairer les sombres années 1980. Ainsi, le journal Révoltes développe un contenu critique et fouillé de tendance libertaire. On voit apparaître dans ce journal une réflexion sur les colonialismes canadien et québécois. La fin des années 1980 amène le retour en force des organisations libertaires et anarchistes. Des journaux comme le Q-Lotté et en anglais Demolition Derby servent à diffuser une pensée anarchiste renouvelée et décapante. Avec les années 1990, c’est à la fois la prise de conscience chez les militant·e·s de l’impérialisme néolibéral et la création d’une contre-culture anarcho-punk ancrée dans les villes, anticapitaliste et anti-impérialiste pratiquant l’action directe. Cette nouvelle contre-culture est bien représentée dans les journaux Démanarchie (1994-1997), puis Le Trouble (2001-2006) qui entremêlent réflexions politiques locales, couverture de la scène punk et dossiers anti-impérialistes. Également, le Salon du Livre anarchiste de Montréal est mis sur pied en 2000 et la librairie L’insoumise ouvre ses portes en 2004. Le Salon du Livre ne cessera de grandir au fil des années et fera de Montréal une des « capitales » de l’anarchisme en Amérique du Nord.

NEFAC

Avec le Sommet des Amériques de Québec et les contre-manifestations de 2001, l’altermondialisme se fait connaître au Québec. C’est une nouvelle occasion pour les libertaires de diffuser leurs idées afin de radicaliser ce mouvement multiforme. La Coalition des Luttes Anti-Capitalistes (CLAC) est créée à cette occasion. L’anarchisme vert (écologiste radical) commence aussi à être diffusé à ce moment-là. Cet anarchisme relaie ces idées notamment dans La Mauvaise Herbe, magazine qui existe maintenant depuis plus de 15 ans. Plusieurs autres organisations sont aussi créées et chacune publie un journal. On peut penser à la NEFAC (Fédération des communistes libertaires du Nord-Est) qui a publié la revue Ruptures ou à l’Union des communistes libertaires (UCL), active jusqu’en 2014, avec son journal Cause commune. Enfin, plusieurs plateformes internet anarchistes voient le jour au cours des années 2000. Il y a d’abord, entre 2001 et 2012, le Centre des médias alternatifs du Québec (CMAQ) qui regroupe divers collectifs de sensibilité libertaire voulant apporter une réflexion critique sur l’actualité, en rupture avec l’idéologie capitaliste.

Plus récemment, des plateformes plus ouvertement anarchistes, comme Montréal contre-information ou Résistance Montréal diffusent les activités des groupes anarchistes. Malgré les efforts de différentes organisations, notamment trotskystes (Alternative socialiste et la Riposte socialiste) et l’émergence de nouveaux médias d’actualités comme l’Étoile du Nord, il faut en ce moment constater un certain manque de publications traitant de l’aspect théorique des luttes révolutionnaires. Il n’en tient donc qu’à nous de créer de nouveaux espaces de réflexion révolutionnaires afin que nos idées et pratiques puissent se généraliser.

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Ce texte est paru sous forme de brochure le 15 novembre 2019 dans le cadre d’une petite exposition temporaire qu’Archives Révolutionnaires a présenté à l’Achoppe lors du lancement du média alternatif Contrepoints. La présente version, légèrement modifiée, renvoie donc à de nombreux articles précédents (plus complets) d’Archives Révolutionnaires.

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