Ce texte fait suite à notre article WEATHER UNDERGROUND – 1969/1976. Partie I – Du SDS à la clandestinité, dont il est la seconde et dernière partie.
De la scission au sein du SDS aux émeutes de la Convention nationale du Parti démocrate de juin 1969 jusqu’au Conseil de guerre de Flint, à la fin de décembre 1969, les Weathermen subissent une rapide évolution politique. Dès 1970, la plupart des membres du Weathermen sont passé.es à la clandestinité. Ce passage à la clandestinité du groupe est provoqué d’une part par les conséquences juridiques auxquelles font face de nombreux.euses militant.es à la suite des Days of Rage (1969) et d’autre part par leur volonté de mener la lutte armée contre l’État américain. Cette nouvelle situation doit permettre au groupe d’initier une lutte armée contre le pouvoir de l’Empire (les États-Unis) en solidarité avec les peuples du « Tiers-monde » ainsi qu’avec les populations opprimées aux États-Unis. L’idée de créer un mouvement de masse révolutionnaire issu des cendres du SDS cède le pas à la construction d’une organisation clandestine centrée autour d’un noyau de militant.es illégaux.ales appuyé.es par un réseau élargi de sympathisant.es non-clandestin.es. Pourtant, les premières actions prévues par le groupe nouvellement clandestin tournent court lorsque trois de leurs camarades trouvent accidentellement la mort en mars 1970.
Convaincu que seules la violence et la terreur sont à même d’ébranler l’Empire, le groupe prévoyait commettre plusieurs attentats à la bombe, dont un lors d’un bal de sous-officiers organisé à la base militaire de Fort Dix (New Jersey). C’est dans ce contexte qu’une des bombes artisanales qu’il.les fabriquaient explose par accident, tuant Diana Oughton, Terry Robbins et Ted Gold. Cette tragédie met provisoirement un terme aux actions du Weathermen Underground (WU). Au cours d’une retraite stratégique organisée le mois suivant, le groupe prend la décision de ne faire que de la propagande armée, c’est-à-dire des attentats symboliques contre les institutions et les biens plutôt que contre des personnes. Si la mort de trois camarades semble définitivement éloigner l’organisation de la violence contre les individus, ses membres restent conscient.es de la guerre au Viet Nam ainsi que de l’ampleur de la répression qui s’abat sur les révolutionnaires afro-américain.es et veulent continuer le combat : pour elles et eux, ce n’est plus le temps de reculer.

A Declaration of a State of War
« Les freaks sont des révolutionnaires et les révolutionnaires sont des freaks. Si vous voulez nous trouver, c’est là où nous sommes : dans chaque tribu, communauté, dortoir, ferme, baraquement et appartement où les jeunes font l’amour, fument des joints et chargent des fusils. »
Extrait de A Declaration of a State of War
En mai 1970, le Weathermen Underground fait paraître son premier communiqué, A Declaration of a State of War. Ce communiqué annonce une action prochaine de la part du groupe et, malgré sa brièveté, aborde plusieurs thèmes au fondement du Weathermen Underground : la solidarité avec les peuples du Tiers-monde et les Afro-Américain.es en lutte contre l’impérialisme ainsi qu’une célébration de la drogue, des communes et de la contre-culture. La parution du communiqué est suivie d’une attaque contre le siège de la police à New York.
À cette époque, le Weathermen Underground se conçoit comme l’embryon d’un groupe de guérilla, organisé selon les principes marxistes-léninistes et inspiré des mouvements de guérilla en Amérique latine. L’organisation est centralisée avec comme organe dirigeant un « Weatherbureau » coordonnant des cellules d’action organisées sous forme de collectifs. Leur stratégie de lutte s’inspire de celle du foco, théorisée par Régis Debray dans l’ouvrage Révolution dans la révolution (1967) et défendue par Che Guevara comme une généralisation de l’expérience révolutionnaire cubaine. La stratégie du foco mise sur la création de foyers insurgés hors des centres urbains, qui lorsqu’assez nombreux pourront subjuguer les structures du pouvoir et renverser l’État. Si le Weathermen Underground est bien conscient des différences entre les États-Unis et les pays d’Amérique latine à majorité paysanne, il tire de la théorie du foco son enseignement principal : « on ne doit pas toujours attendre que soient réunies toutes les conditions pour faire la révolution : le foyer insurrectionnel peut les créer. » (Che Guevara, La guerre de guérilla). Le groupe s’inspire aussi de la stratégie de la guérilla urbaine présentée par Carlos Marighella dans son Manuel du guérillero urbain (1969) et pratiquée par les Tupamaros en Uruguay. La stratégie de la guérilla urbaine, mieux adaptée à la situation des pays fortement urbanisés, prône un type d’action qui évite les confrontations directes et qui utilise des techniques de sabotage ou de propagande armée en milieu urbain.

Le Weather Underground de 1970 est à la fois une organisation révolutionnaire antiraciste et un groupe hors-la-loi de la jeunesse contre-culturelle. Le 15 septembre 1970, le groupe aide Timothy Leary, leader de la contre-culture et grand promoteur de l’usage du LSD, à s’évader de prison. C’est la seule évasion que le WU réalise au cours de son existence. Leary sera transporté en Algérie où se trouve alors une section en exil du Black Panther Party (BPP).
Si l’action impressionne la jeunesse yippie, elle reste discutable d’un point de vue révolutionnaire. L’appel aux jeunes américain.es immergé.es dans la contre-culture est un trait récurrent de l’organisation, toujours déchirée entre une volonté de soutien réel aux révolutionnaires afro-américain.es et une position acritique envers les écueils de la contre-culture. Cette position favorable à la contre-culture n’empêche toutefois pas le Weathermen Underground de mener principalement des actions de propagande armée contre plusieurs symboles politiques américains : la Garde nationale à Washington en réponse aux meurtres de Kent State, un poste de police militaire et une succursale de la Bank of America près de San Francisco pour commémorer les onze ans de la révolution cubaine, le Centre des affaires internationales de Harvard pour leur implication au Viet Nam… L’année 1970, compte au moins sept attentats en huit mois, plus l’évasion de Leary en décembre 1970. Pourtant, ces actions du WU ne représentent qu’un faible pourcentage des 330 actes de sabotage (!) visant des bâtiments gouvernementaux, militaires, policiers ou des grandes entreprises recensés cette année-là seulement aux États-Unis.

New Morning, Changing Weather
Cette séquence se clôt par la parution d’un communiqué, New Morning, Changing Weather, daté du 6 décembre 1970. Le texte, envoyé à plusieurs journaux underground à travers les États-Unis, témoigne d’une volonté de changement de la part de l’organisation. Dans ce communiqué, l’organisation reconnaît ses « déviations militaristes » passées et argumente en faveur d’une stratégie plus flexible, qui fait une place à la mobilisation de masse et à l’éducation populaire. Le communiqué souligne aussi le rôle accru des femmes dans l’organisation, qui se traduit par la formation d’unités non mixtes comme la Proud Eagle Tribe (qui changera de nom pour la Women’s Brigade of Weather). Ces positions féministes provoquent aussi un changement de nom, le Weathermen Underground devenant ainsi le Weather Underground. Au niveau de l’organisation, les « weatherpeople » vont dorénavant s’organiser sous forme de « familles » au lieu de collectifs. L’organisation sous forme de « familles » est censée regrouper des personnes qui ont développé des liens plus profonds que seulement politiques. Cette forme d’organisation résulte d’une considération pratique – les informateurs sont ainsi plus faciles à détecter –, ainsi que d’une considération théorique – la politique doit révolutionner l’ensemble de l’existant y compris l’organisation de la vie personnelle.

L’organisation réaffirme dans ce communiqué le rôle positif de la contre-culture et de la culture de la drogue qu’elle estime faire partie intégrante du projet révolutionnaire. Cette position récurrente pique au vif les Black Panthers de New York qui, s’adressant par une lettre ouverte à l’organisation, soulignent que la drogue, loin d’être libératrice, est une arme chimique utilisée contre les populations afro-américaines et latino-américaines afin de les maintenir dans un état d’inféodation. Elle détruit non seulement les corps et les esprits, mais aussi le tissu social d’une communauté, en exacerbant l’individualisme et en diminuant les capacités de réflexion et de défense communes nécessaires à la création et au maintien d’un mouvement populaire de résistance. La lettre ouverte que les panthères de New York publient en réponse à New Morning, Changing Weather reproche aussi au groupe de laisser tomber la lutte armée au profit d’un militantisme moins radical. Le même débat se produit d’ailleurs au même moment à l’interne chez les Black Panthers et mènera à la scission entre les leaders Huey P. Newton et Eldridge Cleaver. Le Weather Underground ne donnera pas suite à cette critique.
New Morning, Changing Weather est aussi le résultat de réflexions de la part du groupe sur la construction et la consolidation du réseau révolutionnaire. À partir de ce moment, le Weather Underground se consacre plus sérieusement à la mise en place d’une infrastructure logistique qui permette la vie en clandestinité. Afin de fortifier le réseau clandestin, le Weather Underground se donne pour tâche de rétablir plusieurs liens politiques et personnels qui avaient été rompus dans les années précédentes. Ces ruptures s’étaient en partie produites en raison de l’attitude prétentieuse et sectaire de l’organisation, mais aussi à cause de son passage à la clandestinité, au cours duquel plusieurs camarades furent laissés de côté. Il s’agit là d’une tentative du Weather Underground de ne pas se couper du mouvement large, tout en protégeant ses membres dans la clandestinité, qui comptent désormais sur un réseau de militant.es élargi pour mener leurs actions.


Le 28 février 1971, le Weather Underground commet un attentat contre le Capitole en représailles à l’extension de la guerre du Viet Nam au Laos décrétée par Richard Nixon. L’action est applaudie partout dans le monde par l’extrême-gauche anti-impérialiste. Le communiqué suivant l’action affirme : « comme Custer l’a appris à Little Big Horn, comme les Français l’ont découvert à Diên Biên Phu et comme Nixon l’apprend dans les collines laotiennes à l’ouest de Khe Sanh, l’arrogance de l’homme blanc peut le conduire à sa propre destruction ».
Le 30 août 1971, ce sont les locaux de la direction de l’administration pénitentiaire de Californie à San Francisco et à Sacramento qui explosent. Ces attentats, perpétrés neuf jours après l’assassinat du militant George Jackson, sont présentés comme des représailles à ce meurtre commis par le système de « justice » américain. Le Weather Underground pose aussi des bombes en solidarité avec les prisonniers victimes de la violence d’État qui ont péri lors de la mutinerie de la prison d’Attica, émeute elle-même déclenchée en réponse à la mort de George Jackson. Enfin, le 28 septembre 1973, le groupe fait exploser le siège de la branche latino-américaine d’ITT pour son soutien au coup d’État fasciste du général Augusto Pinochet au Chili. C’est un des plus grands attentats commis sur le territoire américain à l’époque. Toutes les actions du Weather Underground à cette époque répondent aux évènements politiques liés aux combats des peuples et des groupes en lutte contre l’impérialisme américain.

Prairie Fire, Osawatomie et la fin du Weather Underground
« Nous sommes une organisation de guérilla. Nous sommes des femmes et des hommes communistes, luttant clandestinement aux États-Unis depuis plus de quatre ans. Nous sommes profondément affecté.es par les évènements historiques de notre temps dans la lutte contre l’impérialisme US.
Notre intention est de perturber l’Empire, de le neutraliser, de faire pression sur ses fissures, de l’empêcher de mener à bien ses projets sanglants contre les peuples du monde, de rejoindre la lutte mondiale, d’attaquer de l’intérieur.
Notre intention est d’engager l’ennemi, de le fatiguer, de l’isoler, d’exposer chaque faiblesse, de révéler sa vulnérabilité.
Notre intention est d’encourager le peuple, de provoquer des bonds dans la confiance et la conscience, de stimuler l’imagination, de vulgariser le pouvoir, d’agiter, d’organiser, de rejoindre de toutes les manières possibles les luttes quotidiennes des gens.
Notre intention est de forger une organisation politique clandestine, engagée dans toutes les formes de lutte, à l’abri des yeux et des armes de l’État, une base contre la répression, pour accumuler des leçons, des expériences et une pratique constante, une base à partir de laquelle attaquer. »
Déclaration d’ouverture de Prairie Fire (1974)
Les attentats se poursuivent en 1974, mais la principale réalisation du groupe au cours de cette année est la parution en juillet du livre Prairie Fire: The Politics of Revolutionary Anti-Imperialism. Cette œuvre de presque 200 pages est le produit de plus de douze mois de réflexions, de discussions et d’écriture collective. Le livre présente la première version détaillée des positions politiques du Weather Underground depuis la déclaration de 1969 (You Don’t Need a Weatherman to Know Which Way the Wind Blows). Prairie Fire décrit à la fois la stratégie du groupe et ses ambitions futures tout en revenant de manière critique sur ses actions passées.
La parution du livre s’inscrit dans un ressac du mouvement antiguerre et anti-impérialiste. Cette période de démobilisation graduelle s’explique par la répression d’État et par le contexte économique et politique mondial. La signature des accords de Paris en 1973, qui réduisent l’implication des États-Unis dans la guerre du Viet Nam, et la récession qui s’amorce la même année participent de ce ressac du mouvement. Le Weather Underground analyse d’ailleurs l’impact du premier choc pétrolier et le scandale du Watergate comme les signes d’une crise de l’impérialisme et le début de la décomposition du mythe impérial. Le WU appelle ses camarades à ne pas laisser tomber malgré le changement de conjoncture.
Dans Prairie Fire, le Weather Underground lance un appel à s’organiser. Il n’a pas changé de position sur deux points importants. D’une part, l’impérialisme américain reste toujours l’ennemi principal des peuples du monde. D’autre part, le projet socialiste ne peut se réaliser qu’en conjonction avec les luttes de libération du Tiers-Monde et des colonies intérieures. L’objectif des révolutionnaires américain.es est donc clair : pour construire un régime socialiste aux États-Unis, il faut chercher à détruire, au moins partiellement, l’Empire. Pour détruire l’Empire, les révolutionnaires doivent aider à la libération du Tiers-monde et des colonies intérieures, puisque ceux-ci constituent les maillons les plus faibles de la chaîne impérialiste. Mais, pour aider à la libération des colonies, pour attaquer l’État américain, pour miner sa capacité à faire la guerre et à exploiter les peuples du monde, la gauche américaine a besoin d’une organisation. Sans elle, il ne peut y avoir que des résultats limités dans le travail politique. Loin du spontanéisme des premières années de son existence, le WU reconnaît dorénavant que faire la révolution aux États-Unis est un processus à long terme dans lequel plusieurs formes de luttes s’entremêlent et se renforcent mutuellement. Le livre vient officialiser la lente modification de stratégie du groupe depuis son entrée dans la clandestinité ; Prairie Fire tente de concilier le caractère clandestin de l’organisation armée avec la nécessité de l’organisation révolutionnaire de masse.

Si Prairie Fire insiste sur le rôle de l’organisation de masse, il appelle toutefois à ne pas dissocier la violence révolutionnaire de la lutte populaire. La lutte révolutionnaire n’est pas pacifique, puisque l’impérialisme américain ne se décomposera pas sans riposter. Dans cette configuration, l’organisation clandestine doit ouvrir la voie au développement d’une milice populaire. Parallèlement, le mouvement de masse doit servir de soutien aux actions armées. Plutôt que de se percevoir comme une organisation foco (un petit groupe de militant.es qui pratique la lutte armée et qui rallie subséquemment la population à sa cause grâce à ses actions armées exemplaires) comme elle le faisait auparavant, l’organisation se perçoit dorénavant comme l’embryon d’une armée populaire, agissant en collaboration avec le mouvement révolutionnaire de masse. En termes de stratégie militaire, c’est donc le passage d’une approche guévariste à une approche inspirée du maoïsme. Prairie Fire insiste aussi sur la nécessité d’un féminisme révolutionnaire et anti-impérialiste. Il critique des tendances racistes au sein du mouvement féministe américain blanc. Le livre appelle à la solidarité internationale avec les femmes du Tiers-monde et en particulier avec celles des pays en lutte contre l’impérialisme et le colonialisme. La diffusion du livre atteint 40 000 copies sous la coordination du Prairie Fire Distributing Committee, qui deviendra en quelque sorte le front légal du Weather Underground dans les années 1974-1975, en établissant des sections à Los Angeles, San Francisco, New York, Boston, Seattle et Chicago.

Si la parution de Prairie Fire a été possible, c’est parce que les militant.es du Weather Underground ont pu mettre sur pied une presse clandestine. Cette presse leur permet aussi de commencer à publier un journal, Osawatomie, à partir de mars 1975. La parution de ce journal marque un tournant pour le Weather Underground. L’organisation est plus équipée que jamais et bénéficie d’un large réseau de support. Elle est capable, tout en menant ses activités clandestines, de tenir une presse dans laquelle elle amorce un (nouveau) tournant idéologique, qui la mènera paradoxalement à sa perte. En effet, dans Osawatomie, le Weather Underground renoue avec certains canons marxistes qu’il avait rejetés lors de sa fondation en 1969, notamment la proposition de fonder un parti marxiste-léniniste. Cet appel à la création d’un parti unifié se fera, c’est ce qu’il faut comprendre implicitement, sous leur direction, et donc sous la direction de militant.es blanch.es, ce qui rompt avec leur position précédente sur la centralité des organisations non-blanches dans la lutte révolutionnaire. Le Weather Underground rompt aussi à ce moment avec sa position initiale sur la situation des Afro-Américain.es. L’organisation reprend la théorie voulant que les travailleur.euses noir.es soient surexploité.es sans pour autant avoir une condition foncièrement différenciée des travailleur.euses blanc.hes ; les Noir.es ne sont donc plus considéré.es comme appartenant à des colonies intérieures aux États-Unis. L’originalité du Weathermen à ses débuts avait été d’adhérer aux analyses décoloniales de la situation des Afro-Américain.es en affirmant qu’il s’agissait d’une colonie intérieure. C’était entre autres l’opposition entre surexploitation et colonie qui avait participé à leur scission avec le Worker Student Alliance et à l’implosion du SDS en 1969. En accord avec les positions soutenues dans Prairie Fire, Osawatomie accorde une large place aux analyses concernant la situation des femmes ouvrières et des femmes du Tiers-Monde et prend une position critique face au féminisme bourgeois. Le journal appelle à créer un féminisme dans lequel la question des classes sociales occupe une place centrale, mettant en valeur l’oppression des femmes de la classe ouvrière (blanches et non-blanches) dans le système capitaliste. Les idées exprimées dans Osawatomie témoignent d’un changement de perspective politique opéré par l’équipe du journal du Weather Underground, qui réfléchit à un nouveau programme et tente d’élargir sa base en laissant de côté certaines positions politiques qui l’avaient défini jusqu’à maintenant. Ces remises en question causent des dissensions au sein du reste de l’organisation. Six numéros d’Osawatomie voient le jour avant que l’organisation ne s’effondre sous le poids de ses propres contradictions et de celles du mouvement révolutionnaire en déclin.

Le déclin du Weather Underground s’accélère suite à la Hard Times Conference, qui se tient à Chicago à l’hiver 1976. La conférence est organisée par le Prairie Fire Organizing Commitee (PFOC) en collaboration avec le Puerto-Rican Socialist Party, le United Black Workers, l’organisation Youth Against War and Fascism (YAWF) et CASA, une organisation de travailleur.euses mexicain.es et chicano.as originaires du sud-ouest des États-Unis. Le but de la conférence est de fonder une structure nationale et d’adopter un programme unifié qui permette de revivifier le mouvement révolutionnaire dans le contexte de la détérioration de la situation économique aux États-Unis au milieu des années 1970. Si la conférence est un succès organisationnel (2000 personnes y assistent), elle met aussi au jour de nombreuses critiques à l’encontre du Weather Underground, notamment l’abandon de leurs positions politiques initiales sur la question du colonialisme intérieur. Le nouveau tournant pris par l’organisation est mal vu par sa base de soutien traditionnelle, qui considère cette réorientation comme un abandon de la lutte anti-impérialiste. Suite à la conférence, le Prairie Fire Organizing Commitee coupe ses liens avec le Weather Underground. Si le WU paraît continuer ses activités, il n’existe déjà plus.

La fin du Weather Underground entraîne la chute de son réseau de support. À partir de 1977 et jusqu’aux années 1980, Robert Roth, Phoebe Hirsch, Suzanne Ross, Cathy Wilkerson, Bernardine Dohrn ainsi que plusieurs autres membres du Weather Underground se rendent aux autorités. La plupart d’entre eux et elles ne font qu’un bref séjour en prison, le FBI ayant peu de preuves légales pour les condamner. Cette reddition se produit alors même que les leaders du Black Panther Party ou du American Indian Movement (AIM) sont assassiné.es massivement ou enfermé.es pour plusieurs décennies. Les seuls ex-membres du WU qui font de longues peines sont ceux et celles qui n’abandonnent pas la lutte. En octobre 1981, un noyau d’ancien.nes militant.es du WU aide une cellule de la Black Liberation Army (BLA) à voler un camion de la Brink’s. Cette opération, qui est un échec, mène à l’arrestation et l’emprisonnement de plusieurs militant.es (Kuwasi Balagoon, Sam Brown, Judy Clark et David Gilbert) et, dans les jours qui suivent, à l’arrestation, à la torture et même au meurtre de plusieurs militant.es de la BLA. Judy Clark et David Gilbert, deux ancien.es du Weather Underground, sont condamné.es à 75 ans de prison – tout comme Kuwasi Balagoon – à l’issue de leur procès.

De sa fondation à sa dissolution, le Weather Underground a subi plusieurs transformations théoriques et politiques. Son analyse initiale se place en totale adéquation avec les analyses du Black Panther Party qui faisaient des Afro-Américain.es les membres d’une colonie intérieure. Elle détonne de la plupart des positions des groupes de cette époque. Le rejet du « prolétariat blanc » des États-Unis, s’il provient en partie d’un mépris de classe typique des enfants de la bourgeoisie progressiste américaine, est aussi fondé sur une analyse de la transformation des classes sociales dans le contexte impérialiste. Cette vision s’articule avec un jeunisme et une célébration de la marginalité qui est difficilement conciliable avec une position de support envers les luttes populaires. Par romantisme révolutionnaire et par volonté de s’allier une partie de la « jeunesse marginale » (dont ils font eux-mêmes partie), le Weather Underground n’a pas su éviter certains écueils de la contre-culture (appropriation des cultures autochtones, célébration acritique des drogues, etc.). Quoi qu’on en dise, le WU a su, à ses débuts, entraîner une jeunesse universitaire, blanche et privilégiée vers des positions radicalement opposées aux intérêts de sa classe, menant plusieurs d’entre elles et eux à risquer leur vie pour les luttes anti-impérialistes et antiracistes, dans une perspective socialiste. De nombreux.euses Weatherpeople issu.es de la bourgeoisie, en entrant dans la clandestinité, ont donné leur argent au Black Panther Party et à la lutte clandestine. L’expérience du Weather Underground, surprenante à bien des égards, critiquable sur d’autres points, pose encore plusieurs questions de taille au mouvement révolutionnaire : quel est le rôle des révolutionnaires dans les pays impérialistes ? Quelle forme d’organisation est à privilégier ? L’origine de classe est-elle un élément pertinent à prendre en compte dans l’organisation révolutionnaire, comment cela influence t-il l’analyse qu’on peut avoir d’une situation ? Comment articuler les différentes luttes sur un même territoire ? Quel est le rôle de la culture dans le processus révolutionnaire ? Comment cela s’articule avec les pratiques solidaires et de combat ?
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Pour un aperçu de la dynamique au sein du SDS avant son implosion, on écoutera avec intérêt le documentaire anticommuniste Communists on Campus (1970) qui présente l’occupation de diverses universités par le SDS et le SNCC. Nous y voyons entre autres Mark Rudd (SDS), H. Rap Brown (SNCC) et Bobby Seale (BPP).
Plusieurs ex-membres du Weather Underground ont mis en récit leur vie : David Gilbert (Love and Struggle), Cathy Wilkerson (Flying Close to the Sun) ou encore Bill Ayers (Fugitive Days). Toujours en anglais, on pourra consulter les écrits du Weather Underground dans l’ouvrage Sing a Battle Song: The Revolutionary Poetry, Statements, and Communiques of the Weather Underground (1970-1974). Pour en savoir plus sur les militantes de l’organisation, on lira avec attention Weatherwomen: Militant Feminists of the Weather Underground.
L’ouvrage de l’historien Dan Berger, Weather Underground. Histoire explosive du plus célèbre groupe radical américain (2010) expose en détail l’histoire du WU ainsi que les retombées politiques des actions du Weather Underground. On écoutera aussi avec intérêt l’extrait audio du documentaire Underground produit en 1976 alors que le Weather Underground opérait toujours dans la clandestinité. Enfin, le documentaire The Weather Underground, produit par Sam Green et Bill Siegel en 2002, relate l’histoire du groupe en mêlant images d’archives et entrevues avec des ex-membres du groupe.
1 réflexion sur « THE WEATHER UNDERGROUND – 1969/1976. Partie II – De l’action clandestine à la dissolution »