AMERICAN INDIAN MOVEMENT – 1968

L’American Indian Movement (AIM) est créé à l’été 1968 à Minneapolis aux États-Unis, dans le contexte d’un renouveau des luttes autochtones. Le groupe est fondé par de jeunes Autochtones vivant dans les ghettos urbains du Midwest américain. Le groupe de jeunes militant.es fonde le AIM dans l’espoir de changer les conditions de vie des personnes autochtones. Avec le National Indian Youth Council (NIYC), l’American Indian Movement deviendra rapidement une des organisations phares de ce qui fut appelé le Red Power sur l’Île de la Tortue (soi-disant Amérique du Nord).

L’objectif initial du AIM est d’aider les personnes autochtones des ghettos de Minneapolis à lutter contre la brutalité policière et contre le racisme dont il.les sont victimes. En effet, entre les années 1940 et 1960, le gouvernement des États-Unis met en place des politiques assimilationnistes visant les populations autochtones, notamment l’inique « Indian Termination Policy ». Cette série de lois a comme but explicite d’imposer une assimilation culturelle et sociale à toutes les nations autochtones présentes aux soi-disant États-Unis. Ces politiques sont présentées comme une occasion pour les personnes autochtones de devenir des « citoyen.es à part entière » et de se débarrasser d’une bureaucratie encombrante et inefficace (le Bureau of Indian Affairs). En fait, ces politiques mettent de facto fin à la reconnaissance par le gouvernement américain des souverainetés autochtones. Ce type de politique qui ressemble à s’y méprendre à ce qui a été proposé dans l’infâme Livre Blanc au soi-disant Canada en 1969.

Pour parfaire le projet d’assimilation, une loi votée en 1956 aux États-Unis incite tous.tes les Autochtones vivant sur ou à proximité d’une réserve d’aller s’installer en ville où, leur dit-on, les perspectives d’emploi seront meilleures. Le programme cherche par ailleurs à évacuer les territoires des réserves afin de rendre ceux-ci disponibles pour l’exploitation (minière, pétrolière, forestière…), l’achat et la vente. C’est entre autres pour cette raison qu’on retrouve au début des années 1960 de nombreux.ses jeunes Autochtones et leur famille en ville. À Minneapolis, c’est 10 % de la population – principalement Anishinaabe (Ojibwe) – qui est autochtone.

« Nous avions dix-neuf organisations indiennes de protection sociale et de distribution de vêtements. Celles-ci étaient nécessaires, mais il n’existait aucun mouvement visant spécifiquement la brutalité policière qui était un fait quotidien pour les Autochtones ou les discriminations dans le logement et l’emploi à Minneapolis… À Stillwater, je pris un engagement envers moi-même qu’il y aurait un mouvement indien. »

Dennis Banks, extrait du livre Ojibwa Warrior

Dans les quartiers de Minneapolis comme ailleurs, le harcèlement policier envers les Autochtones est constant et la justice est raciste. Même si au Minnesota, à la fin des années 1960, les personnes autochtones représentent environ 1 % de la population, elles comptent pour le tiers des personnes détenues ; à Minneapolis, c’est 70 % de la population carcérale qui est autochtone. Incarcérés pour leur activisme politique ou pour des crimes de droit commun, Clyde Bellecourt, Eddie Benton-Banai et Dennis Banks font partie de cette population carcérale. Pour les trois hommes, ces années en prison seront paradoxalement formatrices. Leurs temps libres, ils les passent à réfléchir sur les conditions de vie des Anishinaabe au Minnesota, faites de pauvreté, de taudis dans les ghettos urbains, de violence policière et plus largement de conditions de vies ingrates qui poussent au développement de l’alcoolisme et d’autres addictions. Ces réflexions seront à la base de l’analyse sociale et des objectifs de l’American Indian Movement. Cette politisation pousse notamment Bellecourt et Benton-Banai à faire de l’éducation populaire auprès de leurs codétenus, afin de revaloriser les cultures autochtones. Quant à Dennis Banks, son incarcération dans une prison à sécurité maximale ne l’empêche pas de s’instruire sur les luttes autochtones et sur le mouvement pour les droits civiques. À Minneapolis, des personnes concernées par l’avenir de leur communauté forment des groupes de discussion. Tous et toutes se font la même réflexion : bien que plusieurs groupes politiques existent à l’époque, aucun ne lutte activement et spécifiquement pour les droits des Autochtones. C’est, se disent-il.les, ce dont la population Anishinaabe de Minneapolis a besoin.

AIM's founding Board, Minneapolis, 1969
Les membres fondateur.trices du American Indian Movement en 1969. De gauche à droite : Harold Goodsky, Charles Deegan, Dennis Banks, Clyde Bellecourt, Peggy Bellecourt, M. & Mme Barber, Rita Rogers (assise), George Mitchell, Mme Mellessy et sa fille. La photo provient du American Indian Movement Interpretive Center.

En juillet 1968, ces militant.es convoquent la première réunion de ce qui deviendra le AIM. Des centaines de personnes s’y présentent et l’organisation naissante pose alors les bases de son action. Les problèmes de la brutalité policière et du haut taux d’incarcération apparaissent comme une des premières formes du racisme subi par les Autochtones en ville. Pour pallier à la violence policière qui sévit, les premier.es militant.es décident de créer le AIM Patrol, chargé de documenter et de dénoncer publiquement les cas de violences policières dans la ville de Minneapolis. Les membres du AIM Patrol finissent aussi par servir de médiateur.trices (entre personnes autochtones) et de service de sécurité (contre la police), permettant aux habitant.es de gérer eux-mêmes leurs communautés sans subir le terrorisme institutionnel des policiers blancs. Les militant.es créent aussi un centre d’aide juridique pour que leurs compatriotes puissent connaître leurs droits et se défendre. Les jeunes militant.es du AIM s’intéressent également aux problèmes liés au logement, au chômage et à l’éducation publique déficiente.

Les militant.es du AIM étudient en profondeur le rôle de la politique fédérale concernant les Autochtones (Federal Indian Policy) dans le maintien du racisme systémique visant les Autochtones. Face à tout un système raciste, les militant.es posent la nécessité de l’action directe et ont recours aux médias pour diffuser leur propos. Il.les encouragent la construction d’une identité autochtone forte et une amélioration de la confiance en soi des individus par la prise de parole et l’action politique collective. L’action directe est supposée pouvoir permettre cela, en vertu du principe que les actions ont plus d’incidence que les mots, tant sur les sujets que pour transformer la réalité.

Le succès du AIM Patrol dans le quartier de Phillips à Minneapolis finit par attirer les foudres des corps policiers, qui redoublent d’effort pour harceler et arrêter ceux et celles qu’ils perçoivent comme des fauteurs de trouble. Si la patrouille avait pu, à ses débuts, susciter une certaine collaboration entre les corps policiers (sensés réformer leurs pratiques) et les militant.es du AIM, cette « sympathie » se termine brusquement lorsque les policiers découvrent que les militant.es du AIM ne sont pas là pour être leurs sbires. Cette situation ne fera que s’envenimer alors que le AIM participe à plusieurs mobilisations pour les droits des peuples autochtones, comme l’occupation du site de la prison désaffectée d’Alcatraz en 1969.

L’occupation de la prison désaffectée d’Alcatraz, été 1970.

Dès lors, les objectifs du AIM s’élargissent pour prendre en charge un grand nombre de revendications (en ville comme dans les réserves) : indépendance économique, revitalisation des cultures traditionnelles, protection des droits reconnus par la loi et, plus particulièrement, autonomie sur les zones tribales et restauration des terres illégalement saisies par le gouvernement ou des compagnies privées. Graduellement, l’activité du AIM s’étend sur le territoire, rejoignant aussi bien les zones urbaines que les réserves en milieu rural.

L’occupation d’Alcatraz, à laquelle les militant.es du AIM participent, revendique la rétrocession des terres volées aux peuples autochtones par les colons. Les centaines de militant.es qui s’y trouvent proviennent de plusieurs nations différentes et prennent le nom collectif d’All Indian Tribes. En vertu du traité de Fort Laramie (1868) conclu entre les États-Unis et les Lakota, toutes les terres fédérales à la retraite, abandonnées ou inutilisées doivent être rendues aux Autochtones qui l’ont autrefois occupée. Puisque le pénitencier d’Alcatraz a été fermé le 21 mars 1963 et que l’île a été déclarée propriété fédérale excédentaire en 1964, les miliant.es estiment donc que ce territoire leur revient. De plus, comme on peut le lire dans la Proclamation au Grand Père des Blancs et son peuple, écrite par les militant.es, l’occupation du site d’une ancienne prison est aussi un symbole fort qui exprime la condition des Autochtones aux États-Unis, fait.es prisonnier.es sur des territoires qu’il.les habitaient depuis des générations avant l’arrivée des Européen.es. L’occupation, qui dure un peu plus d’un an, se termine par une intervention armée du gouvernement fédéral pour déloger les occupant.es. Malgré tout, elle contribue à créer un précédent dans la lutte des peuples autochtones aux États-Unis. Dans les années subséquentes, de plus en plus d’occupations des territoires volés par le gouvernement fédéral et les entreprises privées ont lieu, plusieurs nations reprenant, pour un temps parfois court, leur dû. Dans beaucoup de ces luttes, on retrouve le AIM, qui fournit une aide précieuse à tous ceux et celles qui veulent combattre pour leurs droits et leurs territoires.

À l’été 1971, les occupant.es d’Alcatraz sont délogé.es par l’intervention armée du gouvernement américain.

En 1972, le AIM participe à une longue marche qui doit aboutir devant le Bureau of Indian Affairs (BIA) à Washington. Le « Trail of Broken Treaties » (Sentier des Traités Brisés) est organisé conjointement avec d’autres organisations (dont le National Indian Brotherhood, qui milite sur le territoire du soi-disant Canada) et dont le but est de faire entendre les revendications autochtones au niveau national et international. L’objectif est de mettre la pression sur le gouvernement américain pour qu’il prenne en compte les intérêts autochtones et surtout pour qu’il respecte les traités trahis. Arrivée à Washington, la marche se transforme en occupation du Bureau of Indian Affairs, où des milliers de documents classifiés sont confisqués par les militant.es, qui en apprendront ainsi beaucoup sur la gestion gouvernementale des populations autochtones. Lors de négociations subséquentes, ces documents serviront de monnaie d’échange entre militant.es et gouvernement, en contrepartie de quoi celui-ci rétrocédera des terres.

Juillet 1971 - Lac Courte Oreilles
Juillet 1971. Des activistes de l’AIM et des membres de la bande ojibwe du Lac Courte Oreilles occupent un barrage hydro-électrique à Hayward, dans le Wisconsin. L’American Indian Movement Interpretive Center nous fournit plus de détails sur cette action.

L’évènement qui fait le plus connaître l’American Indian Movement est l’occupation du site de Wounded Knee en 1973. Situé au cœur de la réserve de Pine Ridge, Wounded Knee est aussi le lieu d’un tristement célèbre massacre des Lakota en 1890. L’occupation, initiée par les habitant.es de Pine Ridge en collaboration avec le AIM, vise à dénoncer la corruption du chef du conseil de bande Dicky Wilson ainsi que la violence exercée par ses hommes envers les Oglala-Lakota. En effet, avec la complaisance du gouvernement fédéral, Pine Ridge était devenue, sous la poigne de fer de Wilson, une véritable prison pour ceux et celles qui tenaient à revaloriser leur culture et leurs traditions.  Dès leur arrivée à Wounded Knee, les occupant.es décrètent l’indépendance de la nation Oglala, un geste qui exprime le refus des habitant.es de Pine Ridge de se soumettre plus longtemps à l’oppression coloniale et aux structures gouvernementales corrompues que les Blancs leur ont imposé. De plus, les occupant.es exigent que le gouvernement fédéral respecte, une bonne fois pour toutes, les traités signés. Incapable par nature de répondre à ces demandes, le gouvernement fédéral fait alors ce qu’il sait faire de mieux : il tente de déloger par la force les occupant.es. Très vite, l’occupation tourne à l’affrontement armé. Pendant 71 jours, plus de 300 personnes résistent à une importante force militaire et paramilitaire composée d’agents du FBI, de policiers locaux, fédéraux et de soldats. Au terme de l’occupation, on dénombre deux morts, assassinés par les forces répressives. Malgré tout, l’occupation de Wounded Knee fait apparaître au grand jour les revendications des nations autochtones aux soi-disant États-Unis et contribue à former une nouvelle génération de militant.es pour les droits des peuples autochtones. On peut lire le récit de ces journées dans le livre Voices from Wounded Knee publié par les Akwesasne Notes (éditeur lié au journal du même nom).

« La Nation Indépendante Oglala était plus qu’un geste courageux. […] Elle représentait la plus grave menace depuis plus d’un siècle pour les plans du gouvernement américain visant à soumettre les Autochtones des États-Unis à leur plan d’exploitation des terres au profit des intérêts blancs. »

“On the Road to Wounded Knee” (Indian Nation, Vol. 3, No. 1, Avril 1976)

En 1978, l’American Indian Movement organise The Longest Walk, une marche de 3 000 km à travers les États-Unis pour attirer l’attention sur les droits des Autochtones et pour protester contre 11 projets de loi anti-autochtones présentés au Congrès ; ces projets menacent les droits issus des traités. La marche rassemble plus de 2000 personnes. En 2008, le AIM, qui continue toujours son activité, organise une seconde Longest Walk pour protester contre la destruction du territoire et pour protéger les sites sacrés constamment saccagés par les compagnies avec l’appui du gouvernement américain.

En 1978, l’American Indian Movement organise The Longest Walk, une marche de 3 000 km à travers les États-Unis pour attirer l’attention sur les droits des Autochtones et pour protester contre 11 projets de loi anti-autochtones présentés au Congrès.

Malgré sa popularité et son large champ d’action, le AIM ne fait pas l’unanimité. En effet, le mouvement adopte une idéologie pan-indienne que toutes les communautés n’apprécient pas, car elle vient niveler les différences profondes entre communautés et cultures. En plus du fait que les peuples autochtones sont très nombreux et différents, les politiques d’assimilation et de démembrement des nations autochtones se font une nation à la fois, ce qui rend difficile d’unir les luttes des différents peuples, qui ne se reconnaissent pas nécessairement comme d’abord autochtone (mais d’abord comme Lakota, Ojibwe, etc.).

La résurgence d’une spiritualité autochtone sera une préoccupation de plus en plus importante pour le AIM au fil des années. La rencontre des jeunes Autochtones des villes (souvent privés de culture religieuse autochtone en vertu de leur déplacement forcé vers les villes et de l’éducation dans les pensionnats) avec des militant.es plus âgé.es vivant sur les réserves fait en sorte que les premier.es s’introduisent aux questions spirituelles auprès des second.es. Par contre, au sein du AIM, la tendance est à la reconstruction d’une spiritualité « unique » et pan-indienne (culte du Grand Esprit, respect de la Terre Mère, etc.). Cette nouvelle spiritualité autochtone fait beaucoup pour aider les jeunes d’un côté, mais déplaît à plusieurs sur les réserves, qui défendent les spiritualités locales, la religion de leur peuple, et non une religion syncrétique pan-indienne. Cette conception religieuse du AIM d’une spiritualité pan-indienne a tendance à réduire au plus petit dénominateur commun les expériences hétéronomes du monde des différentes nations. La question se règle par ailleurs partiellement pour plusieurs communautés qui appuient et participent politiquement au AIM, mais (re)construisent leur spiritualité au sein de leur propre communauté. C’est le cas par exemple des Mohawks de Kahnawà:ke, dont plusieurs membres de la Warrior Society participent au AIM, mais (re)construisent leur propre spiritualité autour de leur Grande Loi de la Paix et de la Guerre, tout en revitalisant le modèle proprement mohawk des maisons longues sous l’impulsion du leader Louis Karoniaktajeh Hall.

Tout au long de son histoire, l’impact du AIM se fait sentir partout en Amérique du Nord. Des chapitres du AIM se forment et agissent en ville comme en zone rurale, du territoire occupé appelé États-Unis jusqu’au soi-disant Canada. Pour leurs actions, les membres du AIM seront poursuivi.es, arrêté.es et assassiné.es massivement par le FBI et son programme contre-révolutionnaire COINTELPRO. Ce climat de violence crée un sentiment de paranoïa au sein de l’organisation, qui sort très affaiblie de cette période de répression à la fin des années 1970.

L’American Indian Movement offre pourtant une remarquable histoire de luttes et de victoires, au cœur de la résurgence autochtone d’après-guerre. Les combats mené.es par les femmes et les hommes du AIM ont ébranlé l’Amérique et redonné puissance et fierté à des générations de militant.es. Par-delà les massacres étatiques à l’encontre des membres du AIM, l’organisation existe toujours et continue le combat. Jusqu’à la fin de toute forme de colonialisme, les peuples autochtones continueront de lutter à l’instar de l’American Indian Movement, qui reste fièrement debout depuis 50 ans.

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Les informations de cet article sont entre autres tirées du livre de Gord Hill, 500 Years of Indigenous Resistance (disponible en format PDF en français et en anglais). Sur les débuts du AIM et de sa lutte contre la brutalité policière, on consultera avec profit la thèse de Christine Birong. Une section de références (ouvrages, sources primaires, journaux) concernant le AIM est aussi disponible le site de la Société d’histoire du Minnesota. Pour aller plus loin, on peut aussi consulter l’autobiographie de Dennis Banks Ojibwa Warrior, ainsi que celle de Mary Crow Dog (membre importante et connue du AIM), Lakota Woman.

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